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Pierre Lazuly est mort

mercredi 7 avril 2021, par Grosse Fatigue

Pierre Lazuly est mort.
Je l’ai appris deux ans plus tard c’est-à-dire hier après-midi, par un lecteur de la grande époque du Rezo.
Comme à chaque fois qu’un vivant se volatilise, je lui parle dans ma tête, à la manière des enfants qui vivent encore en nous. Je sais bien que tu es là, Yann, dans ma tête, même si je ne t’ai jamais vu, jamais connu, et que je ne sais pas vraiment ton vrai nom. Les morts sur internet se comptent par milliers. Je vais parfois sur le compte FB de mon neveu pour ajouter des photos d’avant la fin. Ça me fait plaisir et me rassure. Je me demande où sont les morts depuis mes neuf ans. Et je continuerai j’espère longtemps.
Pierre Lazuly, on discutait beaucoup au début. Tu m’exhortais à écrire un livre. Tu y croyais plus que moi, ça me rassurait dans ma fainéantise. Mais apprendre que tu es mort, sans que l’on se soit vus, connus, reconnus, que c’est moche. Je te voyais sur la côte nord de la Bretagne, sur un bateau blanc, avec un saucisson et une bouteille de rouge. Et quelques livres aussi. Tu me racontais si peu de chose en échange mais ça suffisait bien. Te savoir mort et sans savoir pourquoi ni comment, c’est lassant. Cette lassitude sourde du moment où l’on ne peut strictement rien faire. Juste se souvenir de ces quelques échanges, de tes coups de main quand SPIP plantait, de nos conseils de lectures, d’une certaine admiration. Après tout, tu étais le premier à avoir lancé un truc vraiment formidable sur internet, "Chroniques du menteur", truc que j’ai voulu copier tu penses bien, tout ça, c’est grâce à toi...
Je crois que tu as vite compris que notre liberté en ligne finirait par être écrabouillée par ceux qui comprendraient que la vie finit rapidement dans une grande surface. Tu as arrêté tes chroniques, tu les as reprises, et puis ce dernier petit billet que je n’avais même pas vu. Je t’écrivais sans réponse depuis deux ans, en imaginant un problème technique. C’était bien naïf à ton propos de croire à un problème technique. Mais je t’en veux un peu de ne pas avoir prévenu, c’est comme si tu ne me faisais pas vraiment confiance, même si je sais que la confiance, il vaut mieux la garder en soi. Il va falloir tirer un trait sur le jour où l’on se serait vus, et ça m’ennuie un peu de ne plus avoir à y penser. Je te promets que je vais faire un effort, il faut être à la hauteur des premiers de cordée, comme dit l’autre. Et puis je me sens maintenant vraiment vieux, notre petit jouet est dans les mains de millions d’imbéciles, je n’en ai pas trouvé d’autre, il ne reste plus qu’à creuser.

C’est l’impuissance.