GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Impuissances > De l’avantage d’être plus vieux, comme le temps en automne

De l’avantage d’être plus vieux, comme le temps en automne

mercredi 24 novembre 2021, par Grosse Fatigue

Je colle des photos stockées retrouvées au hasard du grenier digital dans le bordel des dossiers du bureau virtuel, je les donne aux enfants, je suis parfois dessus. Je leur montre ce qu’ils étaient autrefois, justement quand ils étaient enfants, sans leur dire pour autant que j’aurais bien aimé qu’ils s’arrêtent un peu plus longtemps à chaque étape, pour savourer le sérieux qu’ils montraient à toutes les découvertes avec des grands yeux.
Garder un enfant de six ans pour toujours sera peut-être une proposition de quelque fous d’outre-Atlantique un jour, tout en voyant son clone continuer à vieillir. Garder les enfants à chaque anniversaire et les voir se dédoubler pour continuer vers d’autres âges plus lointain, en imaginant que l’on se rejoindrait. Ça ferait beaucoup d’enfants, et des bouches à nourrir.

D’où l’invention de la photographie.

Ce n’est pas pareil bien sûr, c’est un peu plat, et c’est très court, c’est un instant et rien d’autre. Il y a les films oui bien sûr, mais je ne sais pas trop faire.

Je pensais à tout cela en regardant Petite Poucette, cette connasse, la fille de Michel Serres, lorsqu’elle a posé sa trottinette électrique de vingt kilos le long du mur de la classe. Elle s’est assise et a sorti - sans rire - son Iphone™ 13 (aujourd’hui, c’est le top du top, mais si vous lisez ce texte en 2031, ça vous fera bien rire). Puis son Ipad™. Puis son Macbook.™ Je lui ai demandé combien faisaient 9 x 9, elle n’a pas voulu répondre. Je suis d’un méchant.

Je pensais à cela en la regardant. Qui est coupable ? A quel moment ses parents ont-ils été condamnés à la voir devenir une connasse ? Ont-ils voulu la garder quand elle avait disons quatre ans, encore innocente et drôle, à écouter sa grand-mère lui montrer comment faire des crêpes ? Je ne lui ai pas demandé.

Sait-elle qu’il y avait des insectes autrefois ? Des araignées dans les maisons ? Des hannetons, des scarabées ? Des millions d’espèces bizarres et bariolées, que l’on retrouvait suicidées sur le pare-brise de l’Opel Manta de papa en Sologne les dimanches de retour de pêche ? Éprouve-t’elle ce manque profond des animaux que l’on découvrait gamins comme des trésors ?
J’en doute.

Est-elle même attachée à un truc ? Je ne parle pas de ces sites pornos où ce genre de fille aime les liens pas très sociaux.

A-t-elle le sentiment du temps qui passe ? Voilà.

Le sentiment du temps qui passe. Et ce besoin de s’accrocher à quelque chose, de l’ordre du passé, qui serait réconfortant. Un insecte de l’été dernier, les vêtements d’autrefois, un 33 tours de Coltrane, une photo de disparu ?

Les photos sont toujours des photos de disparus. C’est une question d’échéance.

L’avantage de vieillir c’est de comprendre cela. D’avoir connu des insectes. De savoir que ceux-là d’aujourd’hui ne peuvent absolument pas comprendre la nostalgie des coccinelles ou des taupes, des sauterelles dans les herbes hautes, des lapins à tous bouts de champs... Aujourd’hui, tout est si propre, si silencieux. Leur expliquer est comme parler d’une planète qui n’existe pas, d’un continent sauvage, et la sauvagerie n’est à la mode qu’entre deux barres d’immeubles.

Il faut s’y faire.