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Un certain ratage

lundi 18 janvier 2021, par Grosse Fatigue

Je n’avais pas la conscience précise quand j’ai fait des enfants. Je veux dire que je n’avais pas compris - un peu comme ceux qui ne veulent pas d’enfant - que "faire des enfants", c’était faire des adultes aussi. Les enfants passent et s’en vont, il faut commencer à s’habituer aux départs et aux absences. Parfois j’envie les femmes qui n’en ont pas voulu même si la nouvelle femme de ma vie actuelle me rappelle à l’ordre en remettant les choses à leur place : les enfants sont des adultes à venir. J’ai toujours vu les enfants comme des enfants éternels, comme on verrait des jouets dans les souvenirs à venir. J’aimerais que les enfants se dupliquent à chaque anniversaire, c’est devenu une obsession. Garder les enfants tels quels à six ans, à l’infini, puis à sept, et ainsi de suite. Jusqu’à huit.

Jusqu’à neuf ans. Juste histoire de pouvoir profiter du moment où les enfants prennent les choses tellement au sérieux.

C’est sans doute pour ça que je fais des photos en permanence : pour que chaque enfant à chaque moment reste ce qu’il devait être. Un enfant. Avec du chocolat sur les doigts, des sourires ou des larmes, le chat qui meurt et les lapins qui ont des petits, invisibles dans la paille et le duvet, au fond d’un clapier. Tous les moments de l’enfance des enfants devaient me combler de joie, et faire de ma vie de père ce que l’on est en droit d’en attendre. Et l’on oublie la clause du contrat, stipulant que l’on est là pour les élever, en faire autre chose que des enfants, bref, les tirer de là, et plutôt vers le haut quand on a encore quelques vagues souvenirs du monde d’avant, ce monde où, tout-à-fait justement, les enfants n’étaient pas vraiment des amis, mais des responsabilités plutôt lourdes à porter.
Je ne savais pas alors qu’élever des enfants n’allait pas vraiment incomber qu’à leurs parents, et pas plus pour mes enfants que pour ceux des autres, que les parents séparés allaient mettre des coups de pieds dans la fourmilière et que Nike et Mac-Do auraient rapidement raison de mes principes vieux-jeu. Le petit dernier a surtout envie d’une coupe de cheveux à la mode et d’un survêtement.
Le marketing a eu raison d’à-peu-près mes vagues principes. Il n’y a rien à faire.
Je me suis trompé sur les mômes. le monde entier est bien plus lourd qu’un père nostalgique et vieillissant. Elever ses enfants, c’est finalement comprendre l’impuissance de son propre père à vous donner le goût du travail bien fait, quand, à l’époque, ce travail n’existait déjà plus. Le goût de l’accordéon après les Stones, le goût de la tripe à la mode de Caen quand on n’a pas connu la guerre et que la mode est aux milk-shakes.

Elever des enfants revient dans ma tête à discuter avec mon père et à le dire aux enfants, à les prévenir. Dernier espoir : penser que, dans vingt ans, ils auront enfin compris pourquoi.