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J’ai eu du mal à quitter les années soixante-dix

dimanche 16 avril 2017, par Grosse Fatigue

J’ai eu du mal à quitter les années soixante-dix. Je crois que j’ai été obligé. C’était en classe de quatrième. Un punk parisien écoutait les Clash. On faisait des expériences sur un œil de bœuf. J’avais un œil de lapin et c’était trop petit.

J’écoutais Pink Floyd à fond tout le temps dans ma chambre mauve.

J’ai eu un mal fou à quitter les années soixante-dix. Elles ne m’ont jamais quitté.

Le petit aujourd’hui me parle du jardin de mon enfance, de mon époque - une donnée très floue pour un enfant - de mon père et du jardin. Je lui explique ce que l’on mangeait, ce que l’on pensait, ce que l’on était. Je me souviens de ces années-là avec le filtre Kodak™ du bleu du ciel et du jaune des soirs d’été. J’y pense parce que les enfants s’amusent au jardin, que le potager est presque prêt, que le compost plein de vers me rappelle notre tas de fumier et, à ses côtés, les poutres en chêne que l’on avait conservées parce que : "Il voulait faire construire". Les poutres ont pourri et mon père est mort, et l’on a échappé de peu à son rêve de confort. Le pavillon moderne. Le summum de l’horreur.

Les enfants jouent dans le jardin et que diront-ils dans quarante ans ? J’y pense à cause des élections. Ils ont dessiné des moustaches à Macron et une autre sorte à Le Pen, une singulière, une sans pluriel, qui rappelle celles pour lesquelles on fait des guerres.

"Y’avait la guerre dans les années soixante-dix papa ?". Oui mais pas ici. Il y avait des Orgues Hammond et la guerre du Vietnam, puis toutes les guerres à venir où des Américains combattaient le communisme pour une mauvaise raison. "Il reste des communistes ?". Ne t’inquiète pas, il reste des hommes politiques, c’est presque pire. Peu importe le bord.

Je revois les hirondelles en rase-mottes et les insectes sur le pare-brise de l’Opel Manta verte en Sologne, quand nous rentrions des dimanches de pêche. Les vieux se plaignaient déjà de la pollution et des truites d’élevage, pendant que des bourgeois déjà si cons chassaient le gros gibier déguisés en Pimprenelles et en Cendrillons. Le faisan se faisait caressant. Il avait l’habitude d’être nourri pour le tir au pigeon. J’ai revu la Sologne depuis, envahie par les classes moyennes motorisées aussi bien que les champs de Belgique en quarante.

Les enfants jouent au ballon dans le jardin. Je me demande si mes parents se sont posé les mêmes questions quand ils n’avaient déjà plus mon âge, après tant d’enfants et tant d’années identiques à tuer le temps pour finalement perdre la partie.

J’écoute Pink Floyd à nouveau. Je me demande où aller maintenant.