GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Chroniques potagères > Un couple en forêt

Un couple en forêt

dimanche 5 février 2017, par Grosse Fatigue

Le sol était boueux après la tempête, nous roulions à deux en souriant, les dents mouchetées de feuilles en décomposition, c’était presque beau. C’était du moins l’un des versants de l’amitié, le plus simple et le plus serein, rouler en vélo dans des chemins détrempés que l’on connaît tellement bien que l’on sait à l’avance où les nids de poules vont ressurgir, comme à Sedan en quarante, par exemple.

Nous avions fini le tour de nos sujets préférés. Je m’étais auto-congratulé puisque je sais depuis longtemps que Fillon na jamais eu aucune chance de gagner la présidentielle. J’en avais fait des tonnes auprès d’un collègue croyant, lui expliquant avec projections à l’appui qu’une élection se gagne au centre, et que Fillon avait les voix des vieilles bourgeoises de Province qui croyaient que Jésus était blond et propre sur lui... Nous n’avons pas parlé de Marine parce qu’il n’y a plus rien à attendre, la marée reste vague, mais elle sera haute, hélas, et polluante, déjà. Je doute que Macron aime vraiment une vieille femme, mais ça n’a aucune importance : quand il sera président, il pourra raconter n’importe quoi. D’ailleurs, dans une côte précédente et avant de nous abandonner, un autre ami cycliste me disait : "Mais Macron n’a pas de programme !". Ben justement : il assume. Quel génie ce type ! Faire croire aux populos qu’il les défendra en libéralisant les taxis, les bus, et les urinoirs... Quel homme ! Car je développe l’idée : pas de programme, ça ne fera aucun déçu ! Il suffit de dire qu’il gérera : car il va gérer les affaires courantes. Personne ne sera déçu car personne n’attend rien. Et tant que les têtes de gondoles sont pleines, tout ira bien.

Nous avions fait le tour de nos sujets préférés. J’avais congratulé mon ami à propos de la beauté de sa femme, et des femmes en général. Une averse de grêle s’annonçait qui nous rafraîchirait les idées avant de bifurquer dans une forêt privée où nous laisserions des traces. Il fallait rentrer.

Et là, dans une côte entourée de chênes où passent de gros tracteurs parfois, un couple. Un couple en forêt. Lui devant et elle derrière. Ils se suivent. Je les imagine habiter dans la zone pavillonnaire au bout du chemin. Je les vois bien se faire à tout, et même savourer un bonheur incertain dans une maison où le polystyrène se cacherait pour leur faire croire qu’ils sont au chaud, ou au frais, selon la saison. Ils ne marchent pas côte à côte. Ils en sont là. Ils marchent parce qu’il faut marcher, parce que ça fait du bien. L’un derrière l’autre. Et comme ça monte, je prends le temps de les regarder, lui devant et elle derrière.

Lui tient son téléphone à plat dans sa main, pathétique boussole pour une vie vacante, demandant son chemin à des prothèses numériques à longueur de journées trop longues. L’oreillette câblée à droite, il parle haut et regarde loin devant lui. Elle, derrière : rien.

Vraiment rien.

Nous les doublons en nous excusant, mais pour d’autres raisons que la gêne occasionnée. Je les excuse pour l’espérance de vie, le printemps, les enfants qui jouent ou l’Italie en été, je ne sais plus très bien.

Pour qui voteront-ils ?