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Et puis vieillir sans faim

jeudi 24 mars 2016, par Grosse Fatigue

Demain c’est mon anniversaire. J’ai la tête de mes artères. Ça va.

J’ai lu un petit papier de Charlie Hebdo à propos d’un nouveau bidule qui nous permettrait un bricolage génétique sans fin. Charlie dit un peu n’importe quoi. Le nom du truc : Crispr-Cas9.

En fait, il doit s’agir d’un moyen de bricoler à l’infini notre ADN.

Je n’avais pas fait le lien avec mon anniversaire demain.

Et puis j’ai repensé aux utopies de la Silicon Valley, et à la vieillesse d’Ernst Jünger. Vers quatre-vingt dix ans, le vieil écrivain avait dit qu’il était "au-delà de la vieillesse". Dans la Silicon Valley, on nous promet la vie éternelle.

C’est un peu le bordel. Dans ma tête.

L’âge sans doute.

Et puis je me suis dit que le truc Crispr-Cas9, ça va effectivement faire très mal. Grâce à ça, on va vivre très vieux. On va nous renouveler notre patrimoine génétique, à nous les riches ADSL, et les pauvres feront encore plein d’enfants.

Et puis Je n’ai pas envie de vivre beaucoup plus vieux. Surtout avec Alzheimer. Perdre la mémoire mais vivre encore, vivre sans souvenir, non. Même si parfois, les souvenirs, même les bons, il serait bon de les oublier. Parfois. J’envie ces gens qui ne sont pas nés avec nos besoins. Qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs. J’aime l’idée de se contenter de peu. J’essaye de m’y mettre. Je me suis promis de planter plus de potimarrons parce que le petit en a réclamé en début de semaine. Mais j’espère ne plus éprouver de besoins matériels. Alors vivre encore plus longtemps, à quoi bon ? Se voir crouler et tenir encore, au-delà de la vieillesse ?

Et puis manque de place.

Et puis j’ai l’impression de ne pas avoir servi à grand-chose en cinquante ans. Ni généreux ni très sociable, finalement très moyen, on devrait facilement me remplacer par d’autres avec de meilleures qualités. Je n’ai pas envie de vieillir sans fin, et de détester encore plus les époques à venir, si le monde américain continue de nous désunir dans son culte de la laideur, en général.

Et puis c’est sans doute oublier à quel point le marché risque de nous pousser à accepter cette boîte de Pandore de l’éternelle jeunesse. Car il suffirait que mon propre entourage veuille rester jeune, soit prêt à en payer le prix, le brevet, le copyright™, le clonage, voire l’application miracle, pour que, d’un seul coup, j’ai moi aussi l’envie vintage de continuer avec ceux qui furent jeunes en même temps que moi. Il faut savoir se méfier des autres, même s’il est trop tard.

A moins que d’ici demain, nous ne nous soyons perdus de vue. D’ici demain...