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Les saisons

lundi 16 janvier 2017, par Grosse Fatigue

Autrefois je redoutais l’hiver même au cœur de l’été, quand le souvenir de l’hiver passé disparaissait en marchant dans les pétales de glycine, quand on avait dépassé mai. Et l’hiver j’attendais l’été, l’imaginant comme une fin, presque une fin en soi, avec quelque part ce que mon enfance n’avait pas connu des platanes du Midi, de la Méditerranée, du soleil à la verticale et de la senteur des pins, de l’Italie.

Il me semble que toute mon enfance j’attendais l’été, l’été prochain, car le principe de l’été c’est de venir, de revenir, comme une source tarie l’hiver. J’attendais l’été comme on embrasse une fille la première fois, quelque chose de romantique et de si prometteur.

Aujourd’hui les saisons passent et ce soir j’ai froid. Mais je ne m’attarde plus à espérer l’été. Il me semble encore que tout est derrière moi. J’ai quand même fait de mon mieux. Mais Trump est président, il n’y a plus d’insectes sur les pare-brise, il n’y a plus d’insecte, il n’y a plus d’après, j’ai raté tant de choses qu’il ne faut pas trop en demander, la famille éparpillée une semaine sur deux, le travail pathétique et les gens sur l’autoroute : pas une lueur d’été, pas un printemps, pas une route du sud.

J’ai connu un jour la Californie, même si ça n’était pas la bonne, je veux dire la bonne époque. Il était déjà trop tard pour en faire un rêve, mais j’y voyais encore les restes calcinés des promesses d’un éternel été, et les cendres étaient chaudes.

Aujourd’hui les enfants dorment ailleurs, je comprends mieux Brel à cause des femmes, je n’ai plus rien à peindre et je ne sais plus vraiment écrire. On nous parle d’éoliennes et d’élections présidentielles, il me semble que tout cela a effacé le temps et l’intérêt de l’été.

J’ai perdu la nostalgie comme on perd à un jeu. Les bords des mers sont bétonnés et les enfants digitaux, même le sable est sale. Je me moque bien du passé et me fous de l’avenir, je vis là au présent et sans fierté, qu’il soit janvier ou mai, je survole. J’ai des milliers d’amis mais pas un à mon enterrement ne viendra prendre des nouvelles de nos vies passées. Tout est dans des disques durs et certains me parlent encore de refaire leur vie comme si j’avais refait la mienne, moi qui me contente de la prendre comme on prend un chemin qui n’irait pas tout droit. D’autres se proposent encore de refaire aussi leurs vies, croyant un instant que l’été sera aussi vertigineux que 1976 ou Catherine Deneuve avant ou Romy Schneider toujours. On se berne on se berce d’illusions et la maladie se charge des racines.

Il est tard déjà.