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L’autre imaginaire

mardi 3 mai 2016, par Grosse Fatigue

Je crois avoir enfin compris que la fiction c’est la vie. On ne fait que s’inventer une autre en face de soi et à la regarder et vice-versa si l’on est une femme. On s’invente de ces imaginaires qui n’existent pas et finissent par s’envoler comme des ballons chauds dans les hivers froids. Viendra l’hiver.

C’est ainsi que les hommes vivent.

Et les femmes aussi.

J’écoute une amie qui me parle du nouveau venu dans sa vie toute une histoire. Elle projette déjà à la Nougaro sur l’écran blanc de ses nuits noires un type merveilleux pourtant revenu de pas mal de sales histoires tordues, comme un homme sans passé dans un Hitchcock sans suspens. Je l’écoute en sirotant un café épouvantable par solidarité avec les peuples opprimés.

Elle est aux anges, c’est tellement étonnant.

Et toi, t’es amoureux ?

Oui oui bien sûr que je lui dis, il vaut mieux lui dire ce qu’elle veut entendre, c’est beaucoup plus simple pour continuer la conversation et verser dans le fleuve des illusions autre chose que des larmes.... Oui oui oui bien sûr.

Je ne vais pas lui dire que le carburant sentimental me semble à un prix exorbitant ou que, pire, cette énergie fossile a disparu de ma galaxie par l’usure. Je mens comme j’écris et c’est bien ainsi.

Il est formidable tu verrais ses enfants.

Pas pressé de les voir ses enfants. Déjà lui, ça ira bien.

Et puis je demande : "Tu crois pas que t’exagères ?" Je voulais dire : "Tu crois pas que le type que tu me décris, c’est le même que la dernière fois, avec ses casseroles, ses lubies, sa bite et son couteau, ses deux gamins paumés, ses illusions perdues, ses hobbies débiles et le vernis qui va avec ? Hein connasse, tu crois pas ?"

Mais c’est une copine que j’aime bien. Et puis ça n’est pas de sa faute. Les Occidentaux doivent posséder un gène de l’illusion amoureuse et les autres un gène du mariage forcé. Je ne sais pas ce qui est mieux. La liberté d’en finir et de griller nos cartouches ou les servitudes perpétuelles des traditions pathétiques. J’irais bien voir ailleurs c’est certain. Je me souviens de ma copine indienne il y a trente ans déjà, qui doit être ridée et grosse et moche elle qui était la plus belle création de mère nature et qui fut mariée à un inconnu, éloignée de l’homme qu’elle aimait et qui nous dit, nous ses amis rêveurs : "Je finirai par l’aimer" comme sa mère avait fini par aimer son père. Ici, pas d’autre imaginaire, la servitude à l’état pur, cette science connue de longue date qu’il faudra s’y faire et que ça vaudrait mieux, parce que le coût de la liberté totale est exorbitant et qu’il vaut mieux le laisser à ceux qui y croient puisque nous ne valons pas mieux dans ce cas à croire à n’importe quoi.

C’est une copine que j’aime bien et je ne lui parle plus de ma jauge à zéro, de mes envies de travail manuel et d’éloignement du monde en-haut d’une colline froide en Ardèche l’hiver vers le Mont Gerbier des Joncs, à chercher le pain le matin en vélo et à cultiver mon jardin en imaginant ce que ma vie aurait dû être. Je l’encourage et l’illusionne, magicien attentif de l’autre imaginaire, et j’avoue être impatient de rencontrer ce nouveau naufragé de nos amours perdues et illusoires au féminin pluriel croyant que les châteaux de sable tiennent debout à marée haute.

On ne me la fait pas.

Tout cela m’ennuie maintenant mais je n’ose pas prévenir mes enfants. Il faudra faire semblant.

Allons.