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Son anniversaire

mardi 3 novembre 2015, par Grosse Fatigue

Dans mon sang coulent du Ruinart et du Mumm et ça fait du bien. C’est comme une pollution dans la rivière qui la rendrait rose comme autrefois avec les truites saumonées et les bubble-gums et les bulles de savon. Ce soir, c’est son anniversaire. Je dors chez elle, dans un lit à l’étage, la mezzanine est sombre, il faut que j’évite de me cogner la tête en me couchant. Mais ce soir, ça devrait aller. J’ai bu pour m’assommer.

Elle a quarante ans aujourd’hui. Le jour de sa naissance, j’étais en CM1 avec madame Reliant, et je dessinais des Gauguin parce que ma mère m’avait fait croire que l’on était de sa famille. Ma mère m’a fait croire qu’on n’était pas n’importe qui.

Elle souffle les bougies, il y a des gamines autour de nous, et une autre amie qui porte le même prénom qu’elle. Je me souviens de mes quarante ans il y a neuf ans, quand la femme de ma vie avait organisé une fête clandestine formidable en me faisant croire qu’il fallait faire les courses. C’était même pas vrai et, en rentrant, la terrasse était noire de monde et de perdus de vue. Je lui ai rendu la pareille pour ses quarante ans à elle, il y a quatre ans, et Philippe l’Américain avait pris l’avion et le train, et c’était la surprise, et c’était drôlement bien. Je lui avais offert un fauteuil Le Corbusier qui n’était pas du Corbusier, mais qu’on aimait tant. Il est maintenant chez elle et tant pis.

Que s’est-il passé entretemps ?

Que s’est-il passé entretemps ?

Parfois même sans être saoul, juste parce que j’ai bon fond, je me demande à quel point c’est de ma faute, tout en m’efforçant de penser qu’elle est morte, ce qui est plus facile à digérer, comme on digère mieux la viande cuite depuis que l’on vit à l’abri. La mort de l’autre me ferait comme une excuse, une seconde vie, presque une carte postale.

Oh oui bon, je dis n’importe quoi : ça me fait du bien. Je discute avec cette amie quarante ans, qui me raconte que son ancien mari était l’homme de sa vie, et qui cherche désespérément des signes d’amour de sa part, des signes d’amour, comme des traces ou des secrets, ceux que l’on se dit quand on est des enfants. C’est un peu tard mais l’on est comme ça. On aime les passages secrets et les histoires, les faux-semblants, les inventions, les ragots, les rumeurs. Il faut que l’on s’invente un monde qui n’existe pas vraiment, il faut que l’on croit. Mon amie quarante ans a trop bu aussi.

Parfois : on se laisse aller. C’est tout juste si l’on ne danse pas tous les deux sur I love you d’Aretha Franklin mais je me sens un peu trop blanc ce soir pour ça. La suite est aussi un slow. Je pense à Joe Jackson et I need a slow song, alors je pense aux filles et aux slows sur lesquels on dansait.

Elle me dit : les bonnes choses ont une fin.

Elle ouvre une autre bouteille.

J’ai envie de revoir l’océan Pacifique en Californie. Je ne sais pas pourquoi. Mais j’ai envie.