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Un autre couple

mercredi 6 janvier 2016, par Grosse Fatigue

Ils sont plus de deux-mille et je ne vois qu’eux deux. Non, ça n’est pas Orly, c’est juste un souvenir de vacances. Un couple, trois enfants. Je mange avec eux. On discute. Je suis seul et n’ai pas d’enfant. J’ai l’impression de n’avoir aucun passé, et pas d’avenir, d’être en suspens dans le Vercors, comme une chanson de Bashung, mais c’est pour y faire du vélo, voir les paysages, et oublier.

Dans les paysages, il y a toujours un pavillon, une verrue, une horreur.

Je ne vois qu’eux deux. Il lui tient la main, elle lui tient la main.

Mais je sais la vérité.

Elle aussi.

Elle lui tient la main comme les types ce matin s’accrochaient à la falaise. Il ne faut pas chuter. Comment vivre avec quelqu’un qui ne vous aime pas ? Je les regarde et je ne m’en veux pas qu’elle soit partie. Même si, à cette époque-là, elle était revenue pour des raisons obscures. Elle n’avait pour moi pas plus de sentiments qu’il n’en a lui pour elle. Il est parti cinq mois avec une autre, et les voilà en train d’essayer de reconstruire. Je les ai pris en photo, les filles, les filles et eux, eux tous deux. J’ai mimé l’enthousiasme en restant dans mes pensées par la suite.

Une amie la semaine dernière m’a parlé d’amour - on parlait de son cancer, on a bifurqué - et m’a dit qu’il fallait partir quand on n’aimait plus. Je me suis demandé s’il fallait rester quand on n’aimait pas, et pourquoi j’étais resté moi-même avec quelqu’un qui ne m’aimait pas, sachant que j’ai les preuves commissaire, j’ai les preuves.

Je me souviens d’eux dans le Vercors, avec leurs filles et lui qui lui tient la main. Il aime toujours une autre, et cette autre l’aime toujours, et ils se croisent dans les couloirs vu que l’on bosse ensemble. Comme l’amour est une maladie infantile, et qu’ils ne sont pas allés jusqu’au bout, alors ça dure.

Mais il tient la main à la mère de ses enfants, et chaque jour et même la nuit, elle lui redemande une confirmation, qu’il envisage du bout des lèvres, comme un coup à prendre.

Quand elle me parlait encore, j’en ai parlé à la mère de mes enfants. Je lui ai dit qu’ils me faisaient de la peine, puisque je savais la vérité de ce jeu de dupe, et qu’il ne faut pas rester pour les enfants. Les enfants : on s’en fout, on les a faits puis on les a défaits.

Ils sont devant moi. D’autres jours, il me raconte qu’elle dort mal. Il me parle d’elle maintenant à la pause entre deux cours. De la mère de ses enfants, il gère une dépression à vie. Il faut tenir jusqu’à la mort en sachant que ça n’était pas qu’une petite tromperie. Elle a lu les conversations et les mots d’amour. Il va falloir qu’il tienne aussi des années avec l’autre femme qu’il croise dans les couloirs. Il tiendra avec des regrets.

Je lui ai dit qu’il aurait dû partir. Il m’a dit que la mienne était partie. Et que j’en souffrais. C’est exact. Mais je ne pourrais pas prendre la main de ce qui me reste à vivre avec une femme qui ne m’aime pas. J’imagine le calvaire de la mère de ses enfants à lui. Elle SAIT. Elle sait qu’il n’a rien pour elle et qu’il reste pour les filles, parce que c’est plus simple, parce que ça vaut mieux. Il sait sans doute aussi que l’on court vers des feux de paille, mais il n’a pas attendu la fin du feu, et celui-ci va couver toute sa vie comme couvent les regrets.

La mère de mes enfants m’a dit qu’on aurait dû partir dans une autre ville. Je lui ai dit que ça n’aurait rien changé. Il faut attendre la fin du feu. Dans son cas, elle a choisi un pyromane. Voyez les dégâts.

J’irais bien refaire du vélo dans le Vercors, avec les enfants l’été prochain, en essayant de penser à autre chose, et en attendant de pouvoir aimer quelqu’un moi aussi, le temps de retrouver du carburant pour arroser les feux de paille.