GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Les grandes illusions > On pourrait peut-être inviter maman à Noël ?

On pourrait peut-être inviter maman à Noël ?

jeudi 1er octobre 2015, par Grosse Fatigue

Quand elle leur a annoncé qu’elle partait chez un fou, la petite, dans sa chambre et recroquevillée dans le lit à l’étage, m’a demandé : "Papa, tu crois qu’on s’en remettra un jour ?". C’était en février, en hiver. D’autres familles vivaient sans doute la même chose, d’autres encore allaient au ski et moi, avec la petite, je me suis mis à pleurer à chaudes larmes. On était tous les deux à pleurer comme ça, humains sensibles, ça fait du bien. Sa maman est arrivée et m’a dit de ne pas pleurer devant la petite, parce que.... ça ne sert à rien.

Depuis, l’eau des larmes a coulé sous les ponts, les ponts sont tombés, la dérive a dérivé, et c’est bientôt fini.

L’autre soir, on a parlé de Noël. Les guirlandes se sont allumées dans les yeux des petits, les trottoirs luisaient des lumières des vitrines, il s’est mis à neiger en septembre, on a vu des sapins et des soirées au coin du feu. Sauf que Noël, là, ça n’est plus Noël. Je tenais à en parler au monde entier.

Parce que la petite m’a dit : "Si c’est ta semaine papa, on pourrait peut-être inviter maman à Noël ?"

Oui. On pourrait. Tout est possible. On pourrait.

Il y eu comme un grand blanc. Les quatre enfants se sont regardés. Une boule au ventre, dans le ventre de chacun parce que nous sommes humains, nous sommes sensibles. Je n’ai pas dit que c’était impossible. La réalité est trop réelle comme ça. Je n’ai pas répondu. La boule au ventre était suffisante. Il semblerait que la nature a équipé nos corps de ce genre de sentiment à l’avance. Il n’y a rien à en dire. Noël nous attendait au tournant. Je sais qu’il faudra s’y faire mais je hais l’impuissance que je traîne depuis mille ans.

Et c’est là que je suis devenu une petite fille de dix ans, qui aime le patinage et ses copines, qui joue aux Playmobil™ et embrasse la chatte en disant que c’est sa sœur, qui joue de la flûte aussi sûr que la pluie est, quelque part, traversière. Je suis descendu à sa portée, en clé de sol, comme appréhendé par ses grands yeux et ses grains de beauté, cette beauté de la fusion entre elle et moi, je veux dire sa mère et moi, parce que tous les enfants sont beaux je crois, ce hasard bienheureux qui m’a donné nos filles et nos garçons. A l’intérieur, il y avait beaucoup d’amis et du cœur, des sentiments en pagaille, il y avait la source tarie de l’espérance des adultes, je l’ai vue au fond d’elle. Car la petite et le petit sont tristes, et que leurs visages semblent dorénavant moulés sur cette expression du regret, le regret d’être là et, sans doute, d’une certaine manière, d’être la cause de la séparation de papa et de maman. Oui, je suis ma propre fille, j’ai des cheveux blonds et bouclés et j’aime bien la cloche de la récré, mais pas la cantine, et inviter mes amis à jouer dans le trampoline à faire des saltos à ne plus quoi savoir en faire, comme une collection de tentatives, à la manière de ce qu’est la vie. Je dis à mon père mais quand même papa on était heureux avant. Je lui dis sans me rendre compte que c’était avant, et que cet avant n’était prévu presque nulle part, même si, bien entendu, il y avait dans les fondations de notre couple de science-fiction une entaille. Mais les petites filles et les petits garçons ne savent pas tout cela, sinon, on ne les ferait pas.

Je suis descendu et j’ai vu la boule au ventre. C’était une boule noire et gluante, comme un cancer qui s’immisce et qui fait que les enfants n’auront jamais confiance en nous, c’est-à-dire en eux, et j’ai si souvent parlé des enfants de divorcés, je les ai si souvent observés, qu’il y ait la guerre ou que le silence s’impose, je sais que la boule au ventre pousse sur le terreau merdique des parents séparés. Le libéralisme a beau nous faire croire qu’il faut de tout pour faire un monde, il faut quand même avouer qu’il nous dit aussi que pour vivre sa vie, il ne faut pas hésiter à tuer les enfants, ce que l’on fait allègrement.

Je suis ressorti de la tête de la petite qui me souriait. Elle me tient souvent dans ses bras même sans auto-tamponneuse. Je me suis souvenu qu’il fallait racheter des fruits et peut-être faire des crêpes samedi, qu’il manque des bananes et quelques illusions nouvelles. La vocation unique des parents séparés étant la réparation des dommages de guerre, à la manière de l’Allemagne de Versailles, je cherche encore ce que je vais bien pouvoir offrir pour éloigner l’étoile noire du firmament de leurs petites années. Des adultes cyniques (SIC) m’ont dit que ça passerait. Une chanson d’amour passait à la radio. Tout était lent. Il m’ont dit que ça passerait.

J’ai répondu : "Si vous saviez comme je m’en fous..."