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Apologie de la broussaille

lundi 25 janvier 2016, par Grosse Fatigue

Gamins nous avions installé un repaire très secret sur un monticule abandonné. Il s’agissait vraisemblablement de la terre du terrassement oubliée là, en tas. Des joncs et des orties, des ronces et quelques arbres rabougris y poussaient en attendant que quelqu’un quelque part reçoive l’ordre tardif mais planifié d’araser la chose car on croit au progrès comme on regarde l’horizon : mieux vaut dégager la vue.

Pour ma part, ne croyant ni en l’un ni en l’autre, je rêve de monticules et de broussailles, de ronces et de roseaux, de marécages. Dans la faune de mon enfance, il y a des fourmilières et des mantes religieuses, des bestioles abandonnées et, avant l’invasion de la banlieue pavillonnaire, il y a, dans un souvenir inventé, un fantasme enfantin ou peut-être une affabulation parentale, le visage d’un cerf au fond du jardin. Il me semble m’en souvenir ou bien était-ce un faisan ou une perdrix, ou juste un lièvre, que dis-je, un lapin. Ou même un lapin nain échappé de la cage du voisin.

Je rêve d’un géant des Flandres, le méga-lapin. Mais j’ai cinquante ans dans deux mois. Il est temps de vieillir.

J’aime les buissons et la broussaille, le bordel thérapeutique d’une nature qui n’en fait qu’à sa tête. Au milieu des blés, il y a toujours un tournesol de l’année dernière, un tournesol désemparé. On en fait parfois des choses drôles par ailleurs, réjouissons-nous.

Dans ce qui reste du potager, poussent les mauvaises herbes. Je les reconnais au fait simple que les lapins ne les mangent pas. Et n’ayant plus de lapin de toutes façons, elles poussent à leur guise. Il y a un buisson légitime de framboisiers, mais il s’étale anarchiste vers la clôture de la voisine, et je n’y peux rien par manque de temps.

A deux rues de là, un hangar est à vendre. Si j’avais les moyens - et ça n’est plus demain la veille - j’irais emprunter suffisamment. Car voilà : la nature y a repris ses droits. Oh, pas depuis assez longtemps. Les premières variétés végétales sont peu attrayantes, mais je crois au pissenlit et à l’oseille, comme on peut encore croire au printemps. J’y verrais bien ma garçonnière, des photos plein les murs, ma batterie au milieu du foutoir, en attendant que des femmes de trente ans viennent se déshabiller comme c’était le cas avant, quand tout était brouillon quand c’était le temps.

Je laisserai les buissons s’installer dans un bordel un peu arrangé, on mangerait des cerises en juin et des tomates en juillet. Ce serait bien suffisant. Quand à la broussaille, j’en ferais des haies, pour me protéger des haies des autres, des thuyas et des murs trop droits.