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Lucien Clergue et Bach, des Parisiennes

mercredi 20 janvier 2016, par Grosse Fatigue

Je n’avais pas prévu d’y aller. J’avais même oublié. Je l’ai presque raté. Mais j’y suis allé aujourd’hui. L’entrée H du Grand Palais est toujours aussi minuscule, il faisait froid et humide à Paris, comme si janvier s’était invité impromptu avec beaucoup de retard. Bowie s’étalait aux devantures des kiosques, heureux et beau et vivant, et en 33 tours dans une vitrine du quinzième, avant 1972. J’ai pris une photo. Aux Champs-Elysées, sur la statue du Général de Gaulle, chiait la mouette de Gaston Lagaffe, hilare. La lumière hivernale perçait à peine, mais elle était grise acier, intemporelle et grandiose, et je croyais reconnaître celle de l’hiver soixante-douze, quand mes parents m’avaient montré Dubo, Dubon, Dubonnet dans le métro noir et bruyant. Je m’en souviens. Nous étions sortis du métro devant le Grand Palais, ici-même. Et le décor de Truffaut m’était apparu, et je n’avais rien compris.

Lucien Clergue est un sacré bonhomme. Quelle vie ! Voilà ce que semblent nous dire les gens comme lui : j’ai eu une vie et toi quoi ?

Euh.

Lucien Clergue nous raconte qu’il faisait des photos de cadavres d’animaux, et qu’il a eu peur de se retrouver seul, parce que ses copains trouvaient cela lugubre. Il eut alors l’idée de faire des photos de filles nues, et quelles photos : la référence !

Il nous raconte aussi que c’est en jouant du Bach au violon qu’il a compris ce qu’était une composition. Et à voir l’immense mur blanc constellé de ses œuvres abstraites, on veut bien le croire. Le mauvais élève a fait de la photographie grâce à Bach. J’adore. Je jubile. Ne pas rater les histoires du bonhomme au fond de la salle.

J’ai acheté le catalogue de l’exposition et le photopoche de l’auteur. J’ai eu l’impression d’être immensément riche en repartant dans le froid. J’ai souri bêtement à la fille qui gardait les vêtements des vieux, à la consigne en bas. Elle aurait fait un beau modèle en Arles...

Retour dans le métro. Fini le Dubo, le Dubon, le Dubonnet. D’immenses affiches publicitaires et rien d’autre. J’ai volé les jambes d’une fille pour bien prouver que je ne dis pas n’importe quoi, j’ai besoin que l’on me croit. En sortant Rue de Rennes, j’ai vu les Parisiennes hiverner en jupes courtes et collants noirs, et talons hauts. J’ai cherché au cadran de ma montre la touche de retour dans le temps, mais la fonction n’est pas encore implémentée, désolée 1984, je ne te reverrai jamais, pas plus toi que les vieux normaliens qui nous faisaient du bien à la Maison de la Chimie, entre deux cafés à l’Autobus, un café qui n’existe plus. Je prends une brioche aux pépites de chocolat. Je regarde les femmes comme Clergue mesurait les statues antiques d’Arles : comme si je ne pouvais plus rien y faire parce que les statues sont immobiles. J’éprouve alors un grand moment de bonheur, un appareil photo dans la poche, un autre autour du cou. Tout est beau tout à coup.