GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Photographies > Un couple d’amis, 1976.

Un couple d’amis, 1976.

mardi 22 décembre 2015, par Grosse Fatigue

Je regarde la cuisine dans laquelle nous dînons. Il y a peu de place et c’est chaleureux. Il y a quatre coupes de champagne, nous trinquons à l’amitié durable, qui n’est pas un slogan, ni une religion. Des hippies bohême en 1976 auraient pu boire de la même manière et seraient repartis dans la R16 de leur père après le déjeuner, pour aller à la campagne en rejoindre d’autres. Mais nous sommes en 2015 et la Bohême est une marque déposée je crois. Je regarde mes amis et je vois la sincérité et le doute comme deux éléments simples et constitutifs de ce qu’ils sont. En mélangeant selon la recette, on forme la peur, la peur de ne pas rester ensemble, et c’est bien justement le sujet de la conversation, et je me souviens des hippies de 1976, ma sœur et son futur mari, et la fin glauque tant de la R16 que de leur vie commune.

Mes couples d’amis ont peur. Ça fait un an que ce qui était une histoire commune leur fiche la trouille comme c’est pas possible, tant il est vrai mon propre couple offrait à tous une illusion parfaite d’un bonheur éprouvé, pimenté de la mort d’un enfant qui n’eut pas lieu, et de beaucoup de musique.

J’ai passé deux ans dans un réfrigérateur,
Oh bien sûr, je n’ai manqué de rien,
C’est elle qui avait les clés....

Hey you woman

 : une chanson misogyne de Michel Polnareff m’avait appris à me méfier de tout, mais je ne la connaissais pas encore pendant l’été 1976, où mes parents aux Sables d’Olonne croyaient retrouver la paix des congés payées de 1936, sous la chaleur accablante. Combien de fois auraient-ils dû se quitter ces deux-là, et éviter le hasard tardif qui vit ma naissance après leurs quarante ans bien dépassés à eux deux ?

J’ai passé dix-sept ans dans un congélateur. Il fallait bien compenser tant l’inflation que le progrès technique. De ce congélateur sont nés quatre enfants et j’espère que l’amour que je portais au congélateur en question n’a pas fait d’eux de futurs monstres, tant il est vrai qu’aujourd’hui l’épigénétique remplace les vieilles peurs des bonnes femmes de voir l’atavisme de quelques ancêtres polluer indéfiniment le futur... Je dois avouer que je suis très attentif à la sensibilité de mes enfants et à leur sens de l’empathie. Ma grande fille me prend si souvent dans ses grands bras, et les longs doigts de ses longues mains me semblent être de jolies promesses musicales. Les deux petits se battent pour m’écraser à chaque film du soir que l’on commente dans un vieux canapé sans confort. Le grand est plus distant mais il comprend très bien ce que nous ressentons tous.

Dans la cuisine de mes amis trônent des photos de leurs deux fils. Ils sont grands et forts et portent en eux des promesses qui seront tenues. Parfois, je suis sûr des autres.

Nous avons bu du champagne puis nous avons chanté, comme tant de gens de 1936 à 1976, dans ces périodes estivales où l’on pouvait changer les choses. Nous avons bu mais c’était l’hiver, les nuages s’amoncelaient gris comme autant de manque d’amour, mais ça ira.

J’espère moi aussi un jour photographier le désert du Névada.