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Il y avait cette femme enceinte

mercredi 18 novembre 2015, par Grosse Fatigue

Samedi soir à Paris, c’était les quarante ans d’une autre. J’y suis allé en me tatouant sous le poignet l’idée de me taire, tellement je passe mal dans les soirées, à dire n’importe quoi à n’importe qui.

C’était comme dans un bon film de Klapisch. Comme dans Paris. J’ai discuté d’architecture avec un architecte et de Kibboutz avec une fille née dedans. J’ai chanté du Bowie très mal mais très heureux chez le maître des lieux, un type avec une tête d’acteur super sympa et divorcé parce qu’on en est tous là, ce qui nous a rendus, je crois, vaguement complices. J’ai fait découvrir Snarky Puppy à une grande Noire, j’ai bu du champagne en mangeant des chips parce que la saison cycliste est terminée, peut-être pour toujours, j’ai pris des tas de photos pour que les gens se revoient heureux, le lendemain d’un massacre qui a laissé des traces dans la tête du chauffeur de taxi qui nous a ramenés à l’appartement. Par la vitre du toit ouvrant panoramique, j’ai vu : "Taxis parisiens", et je me suis dit, à trois heures du matin, que beaucoup de gens dans le monde aimeraient être là dans la nuit, au milieu de Paris, à sortir d’une soirée comme je n’en ai pas connues depuis que j’ai moi-même quitté Paris, à cause de mon amour de la campagne je crois.

Et puis il y avait cette femme vraiment trop jolie, la femme d’un autre assurément, cette femme enceinte que j’ai prise en photos, au pluriel, avec son grand regard et ses grands yeux, et ses cheveux longs, et je me suis dit qu’elle avait l’âge de faire de beaux enfants avec cet autre qui avait l’air de drôlement l’aimer comme on dit que l’on aime énormément et que c’en est drôle, et presque étrange : l’époque n’est pas vraiment à l’amour.

Cette femme tellement jolie, la femme d’un autre donc, attendait de lui un enfant, et s’est allongée par intervalles de fatigue dans le lit inférieur de ces lits superposés où dorment les enfants, dans les appartements où vivent les divorcés. Que l’on me pardonne mais je suis encore sous le choc. Tant du divorce que de la beauté de cette femme enceinte et si belle, ravissante tant elle me ravit, que j’avais envie de l’embrasser, de la prendre dans mes bras, et de lui dire merci.

Bien sûr le lendemain de la tuerie, ce samedi soir au goût amer, j’ai pensé aux morts trois quatre rues plus loin, à leurs mères et à leurs ventres ronds d’autrefois. J’ai aussi pensé à la mère de mes enfants, et à ces quatre fois neuf mois de ventre plein, a ces trente-six mois d’admiration pour elle, qui portait ce que j’ai maintenant de plus cher, et qu’elle m’a condamné à ne voir qu’une semaine sur deux aujourd’hui, tout en me forçant à ne les voir que deux jours toutes les deux semaines à l’avenir, si jamais la juge lui donnait raison avant Noël.

Silence.

Oui, elle était belle cette femme enceinte dans le Paris de Klapisch et c’est après l’un de ses films que l’on avait décidé de faire le premier. C’était après Peut-être, son film le plus méconnu, dans un Paris dévasté, un Paris en plein Sahara, un Paris d’un avenir étrange.

Silence.

Si j’avais su tout cela en allant au cinéma en l’an 2000, qu’aurais-je fait ?