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Pas encore chauve

mercredi 23 décembre 2015, par Grosse Fatigue

Une amie est passée hier en route pour ailleurs, enfin si l’on peut dire, parce qu’ailleurs, c’est peut-être trop tard, il faut modérer son vocabulaire. C’est peut-être Noël, ou les enfants, ou simplement le temps qui passe, ou bien mon âge après tout, mais il nous vient comme des envies de bilan, de bilans comptables. Cette amie, je la connais depuis le collège, avec quelques autres, de loin en loin. Elle a tout fait mieux que moi, de vraies études, et une prépa, etc. Elle a tout fait avant moi, des enfants, la vie de couple, le divorce, un autre couple, le cancer.

Voilà donc.

J’étais étonné de la voir en forme, je m’attendais au pire. C’est une combattante, elle n’a presque jamais tort - mais pas toujours, ce qui la rend humaine quand il le faut - et bien qu’elle ait tout fait en premier, il a bien fallu convenir, sur ma terrasse en pin douglas noir d’humidité, à regarder le jardin gris et l’hiver qui ne vient pas, que nous sommes toujours là. Nous nous sommes souvenu des cours de danse que j’accompagnais à la batterie bien péniblement, alors que je ne savais pas en jouer, avec un ami qui se prenait pour Jimmy Hendrix, et qui a fini informaticien. Elle me demande : que devient Mick ? Je réponds : informaticien. Fait-il toujours de la guitare ? Je n’en sais rien. Tu aimes toujours la danse ? Et nous parlons de Pietragalla. Je regarde son fils, un géant baraqué qui lui ressemble, qui fait la même école qu’elle, qui a l’air heureux. Elle me précise que son père à elle vient de mourir, et, jolie chose, qu’il a avoué à son fils - son frère à elle - qu’il ne pouvait pas vivre sans sa mère qui est morte l’année dernière, et qu’il ne pouvait pas non plus vivre seul. J’en ai conclu avec elle que les histoires d’amour qui finissent comme cela n’existent plus. Elle me dit que leur génération n’était pas à l’abri non plus. Ses parents sont morts étonnement tôt.

Silence.

On parle de son cancer. Elle me dit : "Moi qui n’ai pas de seins, j’ai quand même un cancer du sein, c’est un comble." Je réponds que le cancer colo-rectal est beaucoup plus démocratique, avant de me souvenir que sa mère vient d’en mourir. Elle en rit.

Elle me dit aussi qu’elle hérite d’une petite fortune, qu’elle pourra s’offrir des perruques sur-mesure.

Je n’ose pas lui demander contre quoi elle échangerait bien cette fortune. Je pense à la chimiothérapie qui vient après Noël.

Ses enfants nous demande de faire un concert. Mon grand se met au piano, et je chante mal du Jonasz. Les Vacances au bord de la mer, dans un hiver réchauffé, avec une amie cancéreuse, difficile de rester dans le ton.

Applaudissements et émotions.

Elle me dit : "La dernière fois que je suis venue, vous veniez juste d’emménager".

Je réponds : "Cette fois-ci, c’est peut-être la dernière. Je risque de déménager..."

Elle répond : "Ce que c’est moche."

Juste les faits.

En partant, je les salue tous les trois. Les deux gamins me disent que j’ai le bonjour de leur père, et celui de leur beau-père. Ils sourient. Je me demande si je vais la revoir, et dans quel état. J’espère la revoir, et savoir qu’elle restera ce qu’elle a toujours été, qualités et défauts, parce qu’elle est comme ça, et que c’est bien. L’idée de perdre les gens, ce n’est pas seulement perdre les autres, c’est se perdre soi-même, mais sans égoïsme, comme, enfant, on regardait impuissant, les champs se couvrir de pavillons, et les belles maisons s’écrouler pour être remplacées par des immeubles. Voir les autres partir trop tôt, c’est s’en aller un peu. Il faut tenir le coup.