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Ce que le cloud sait de moi
vendredi 4 décembre 2015, par
Quand j’envoie un message à quelqu’un sur internet, la marque à la pomme me demande de me connecter au cloud. Quand j’envoie un message sur mon téléphone portable, la marque à la pomme me demande de retrouver mes amis. Que ce soit cette marque-là ou une autre, il me semble que toutes les marques de prothèses numériques s’intéressent à moi, bien plus que mes voisins, la plupart des femmes que je croise dans la rue, et peut-être même moi-même. Je ne m’intéresse pas tant que ça à moi-même, pas au point de faire des millions de selfies comme les gamines en slip sur Facebook™ (rejoignez-moi, j’ai un profil, hélas). Que savent ces gens de moi, je veux dire ces algorithmes ? Que peut-on en conclure ? Ai-je des besoins que j’ignorerais, moi l’homme la cinquantaine bientôt, chauve et raccrapoté, quatre enfants divorcé ? Que sait-on de moi que je ne sais pas moi-même ? Et ne vaudrait-il pas mieux demander à des quidams californiens de venir ici-même lire mon ennui pour en déduire une quelconque potion magique, Ten years with a shrink for example, ou whatever else.
Des amis me conseillent d’aller voir un psy. Non pas qu’ils me pensent fou. Mais tout simplement parce qu’à ma place, ils seraient sans doute moins frais, ou, ou moins frais moins souvent. S’en tirer avec quatre enfants et leur mère partie dans des conditions si moches, ça fait peur. Mes amis pensent aussi qu’il vaut mieux que j’aille discuter avec un type que l’on paye, soit parce qu’ils en ont marre de ce que je raconte, soit qu’ils ne savent plus quoi dire et moi non plus. Le cloud pourrait peut-être m’aider. Après tout, Amazon.com me conseille bien mieux que mon libraire grâce à des traitements croisés me présentant gentiment ce que les gens qui aiment les mêmes choses que moi ont acheté récemment. Mon libraire fait d’ailleurs de même, à chaque fois qu’il vend un bouquin, il regarde sur Amazon ce que l’on conseille dans le même genre, des fois que. Je boycotte Amazon depuis, sauf pour acheter des choses inutiles ou pour faire des blagues à des gens méchants.
Le cloud ayant analysé mon profil, mes goûts, mes demandes, mes recherches, mon type de femme, mes achats en ligne et sans doute mon temps passé, le temps d’hier, que peut-il faire pour moi ? Y-a-t’il une programmation quelque part me permettant de devenir autre chose ? De passer sur papier ? Ah tiens, cloud : je me suis dit que si je passais sur papier, il est peu probable que ma prose atteigne la moitié de ce qu’elle atteint ici en terme de lecteurs. Est-ce possible ?
Et si Shakespeare ou Roland Barthes avait eu accès au cloud, que se serait-il passé ?
Je n’en sais rien. Je ne sais pas si le cloud sait mieux que moi ce que je ne sais pas sur moi-même. Suis-je même une fiction ? Que reste-t-il de nos amours ?
Je ne sais rien de moi.
Que l’on m’aide !
Mais papa, le cloud, c’est juste pour stocker des fichiers à distance ! Tu dis n’importe quoi ! C’est pas pour t’espionner !
Ah petit, comme tu es naïf. Comme tu es jeune. Rien n’est gratuit. Il faudra qu’on paye. De nos vies au besoin.
De nos vies au besoin.