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Du brouillard s’il vous plaît

mardi 1er décembre 2015, par Grosse Fatigue

L’autre matin dans la lumière blafarde je pesais les molécules d’eau qui me séparaient du pont. Un brouillard londonien ou chinois d’aujourd’hui. Tout enveloppé dans son manteau, le paysage urbain pourtant d’une grande sottise voyait sa laideur atténuée par les gouttelettes qui l’enrobaient. Cela lui faisait comme une excuse. Des joggers matinaux martelaient le bitume d’un pas saccadé et régulier, à six heures trente du matin. Quelques voitures passaient déjà et un bus remontait la pente pour chercher les enfants et les trimballer d’est en ouest. Il est bien dommage qu’aucun architecte d’aujourd’hui n’ait eu l’idée d’inventer un brouillard perpétuel pour excuser les architectes du passé, disons ceux d’après la guerre, d’avoir à ce point cru qu’ils seraient utiles au genre humain alors qu’ils auraient mieux fait de consolider les vieilles voies, les maisons à colombages et les devantures à l’ancienne. Un brouillard perpétuel m’irait parfaitement, et pourtant, je n’habite pas dans une ville plus moche qu’une autre. Elle est juste monotone à la longue, elle est fatigante. Et puis le brouillard épais nous permettrait de nous croiser sans nous reconnaître, d’être enfin incognito et de bénéficier d’un privilège de parisien en province. Ce serait vraiment bien.

On pourrait prolonger le brouillard sur le pays entier et découvrir les visages de jolies femmes au dernier moment, quand elles en sortent, dans cette lumière comme un halo doux qui se passerait des ombres tout autant que des contrastes. A vrai dire, un brouillard total et généreux ne ferait qu’embellir ma vie actuelle, pas plus pourrie qu’une autre mais moins douce qu’il y a deux ans, par exemple, juste deux ans en arrière.

Un brouillard comme un manteau, ou comme une punition : on l’a bien mérité. Les nuages décideraient d’eux-mêmes de se déployer à basse altitude et au ras du sol. Les gens finiraient par s’y habituer, et, de jour comme de nuit, l’avenir des panneaux indicateurs serait compromis. On roulerait à la prudence et - peut-être - serait-on moins pressé ?

Etre moins pressé serait déjà un progrès remarquable, à mon avis.

Si en plus ce brouillard pouvait, à la longue, et comme dans un film d’épouvante américain dans le Vermont, nous anéantir, ce serait encore mieux. L’immense banquise du nord pourrait descendre par vagues continues de brouillard homogène et nous enrober dans un linceul qui finirait par disparaître avec notre vilaine espèce. Les ponts et les chemins de fer, les autoroutes et les vieilles rues se verraient déflorer par des bouleaux et des pins, on y croiserait des biches et des clandestins : des Loups.

Puis un jour dans très longtemps ceux-là se mettraient à écrire aussi, quelque part, sur les murs peut-être, s’ils ne sont pas tombés.