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Avance rapide

vendredi 27 novembre 2015, par Grosse Fatigue

Un étudiant me dit : je ne veux pas lire.

Je le jure.

Il ne veut pas lire car c’est inutile. Et aujourd’hui, un étudiant n’aime pas l’inutile. Nous en sommes arrivés là. Je n’ose pas la généralisation, mais... Il faudrait faire des sondages.

Il ne veut plus lire, parce que c’est un touriste. Nous sommes des touristes permanents. Il veut arriver à destination. Et le livre est un voyage, pas simplement un trajet. Arriver à destination, c’est tout ce qui compte. La littérature et les voyages meurent de la même cause. Aller droit au but, du temps où celui-ci n’était pas qu’une métaphore footballistique.

Foot.

Balistique.

Autopsie.

Lire des livres, c’était se perdre. Et qu’est-ce que c’était bon ! Aussi scandaleux qu’un porno crypté sur Canal+ avant l’invention de l’avance rapide. Il fallait tourner la tête de droite à gauche et très vite et inversement, Rolland-Garros et Wimbledon à la fois. C’était le bon temps.

Lire ou voyager, ça n’existe plus. Nous sommes (je ne sais pas qui), la dernière génération à savourer ce temps perdu. Découvrir dans des pages ce que l’on ne cherchait pas, parce que l’on ne cherchait rien, parce qu’il fallait lire et que le plaisir venait de toutes façons, c’était comme marcher au hasard, et trouver en chemin des pierres étranges, celles que mes gamins prennent pour de l’or. Ce qui forge un imaginaire, et une enfance. Trois ou quatre silex pointus et une lance, Neandertal et Cro-Magnon dans la Guerre du feu n’aura pas lieu d’être, par exemple. Qui voudrait aujourd’hui faire le trajet ? Qui ne rêve d’aller droit au but ?

Personne.

Je fais souvent face à ces gens-là. Donnez-nous la solution : nous voulons tricher pour vivre, afin de ne pas avoir à faire les frais du trajet.

Par exemple : aller à Barcelone. Par n’importe quel moyen. Rester à contempler ce qui reste de la mythologie de la guerre civile, puis repartir vers un équivalent. Marseille et Borsalino. Amsterdam.

Vivre sans trajet.

Drôle de projet.

La vie en est parfois réduite à cela. Vivre de projet comme dans le Orly de Brel, vivre sans vivre, le quotidien dans la banalité, les vacances au soleil, et entre les deux, payer des impôts. Drôle de vie que la contemporaine.

J’ai envie de Transsibérien, d’Easy Rider, de canoé sur le Beuvron, en 1981, au milieu des nénuphars, d’une promenade en Ardèche, de l’Orient-Express. Pour l’orient, c’est une mauvaise idée. L’express est maintenant fait d’avions et bourré de kalachnikovs. Les balles trouvent leurs chemins bien plus facilement que nous.

Je file prendre mon train.