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Une mise à jour est disponible

jeudi 5 novembre 2015, par Grosse Fatigue

Des collègues m’ont encouragé à mettre à jour mon système d’exploitation, ce système esclavagiste comme son nom l’indique et comme un con, j’ai mis à jour. J’ai perdu une heure de mon temps, face à un écran où les minutes promises duraient bien plus longtemps que les promesses non tenues. Figé sur 19 minutes me restant à vivre, je comptais dans ma tête les secondes à soixante à la noire. Ça n’était pas simple, il fallait rester concentré sur les retombées positives de l’affaire, car un nouveau système d’exploitation, c’est la certitude du meilleur, de la productivité.

En fait, je sais très bien qu’à chaque mise à jour, mon disque dur va être plus sollicité, ma mémoire va être défaillante, et je crains même que l’on me balance à distance tout un tas de ralenti-ware, des trucs faits exprès pour accepter les promesses d’un monde meilleur qui s’avère le même, voire pire, comme l’herbe du voisin qui ne serait que du gazon synthétique. Quand mon fils a demandé à sa mère ce que son amant avait de mieux que son père, elle a répondu : "Rien". Allez éduquer un enfant après ça...

Les 19 minutes ont duré une bonne heure. Pendant laquelle la démangeaison grandissait. D’autres collègues de notre "open-space" vaquaient à leurs occupations alors que j’avais envie qu’il se passe quelque chose à l’écran. Puis l’entreprise la plus riche du monde et pas qu’en promesses, m’a enfin dit que tout allait mieux. En ouvrant la liste des tâches à faire puisque j’ai plus de quarante-cinq ans, tout avait disparu.

Le plus intéressant est que, débarrassé de cette liste de tâches fondamentales, je me suis senti encore plus libre. Je ne me souviens pas de ce que j’avais à faire, j’ai créé de nouvelles tâches avec une collègue au style vieille France, cultivé mais rance, en me disant que, moi aussi, je ne servais à rien car il n’y aurait sans doute pas mort d’homme si j’oubliais de faire l’une de ces obligations bureaucratiques et inutiles.

Mon ordinateur est plus lent qu’avant, et encore plus lent que le jour où je l’ai acheté, ce jour-là, il était au moins vingt fois plus rapide que son prédécesseur, et aujourd’hui, il est sûrement plus lent. J’ai donc perdu cinq ans en mises à jour superfétatoires, et je me suis juré, comme depuis vingt ans, que l’on ne m’y reprendrait pas.

On m’y reprend à chaque fois car les marchands d’armes - d’ordinateurs pardon - s’arrangent tous pour que ceux-ci fonctionnent des siècles mais ralentissent péniblement à chaque mise à jour. Et le pire, c’est que l’on adore cela, car il y a toujours une promesse nouvelle qui décomptera le temps encore plus rapidement, comme si, un jour, mes soixante à la noire duraient, disons, cinquante secondes et non soixante. J’aimerais être repu et zen et penser à autre chose, me satisfaire du quotidien, retourner dans mon laboratoire en noir et blanc il y a vingt ans, et mélanger dans ma cuisine improvisée neuf doses d’eau à vingt degrés et une dose de révélateur. J’aimerais avoir le temps de le perdre, et d’être parfaitement démodé.

Puis quelqu’un m’a dit de faire attention, il me reste dix ans comme il en restait cinq dans une chanson de Bowie à la grande époque, une amie m’a dit d’en profiter. J’ai envie de femmes et de peintures comme un film coréen, de vins et de filles un peu saoules parce que c’est aussi mon style de musique, de soirées à refaire le monde même si le cinéma ferme demain soir, de promenades dans le Massif Central à rêver d’un réveil des volcans. Au fond de moi, je sais bien que nous avons tué Neandertal. Je le sais.

C’est une évidence aujourd’hui.