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Big data big cata

vendredi 24 avril 2015, par Grosse Fatigue

Je n’ai pas peur du big data. La phrase précédente est d’ores et déjà analysée par des Américains méfiants qui voudraient me vendre des chewing-gum ou me faire croire que Kevin Spacey roule en Renault™. Je n’ai pas peur du Big Data. Je sais que l’on peut pister mon quotidien à travers mes connexions permanentes et mon nomadisme téléphonique. Et après ? Nous sommes des millions à rêver d’autre chose que le quotidien et ce ne sont pas les traces que nous laissons qui vont informer Barak Obama de cet autre monde dont nous rêvons. Pour avoir vraiment peur, il faudrait qu’une catégorie d’hommes et de femmes libres inventent un monde nouveau loin des multinationales et du phosphate dans les rivières. Il faudrait contenir un mouvement de fond, qui ne serait pas confondu avec un mouvement de fonds entre la Suisse et le Panama. A l’heure où l’on surveille internet, je ne vois guère la révolution. Je fréquente un peu la jeunesse même de loin, je n’y vois pas l’ambition d’autre chose qu’une nouvelle montre connectée et d’un tatouage regardez-moi je suis enfin quelqu’un. Reste la menace religieuse de ceux de l’autre bord. J’ai la vague impression que tout le data du monde n’a jamais empêché les illuminés de mettre le feu aux poudres.

A vrai dire, pour l’avenir : nous ne savons rien du pire.

On me propose déjà des cartomanciennes, des Romanichelles virtuelles, des liseuses de marc en ligne, une femme qui me correspondrait (j’aime correspondre avec des femmes, petite, écris-moi), que sais-je encore ?

Le big data, c’est l’annulation du hasard. Celui qui me fit croiser Sonia place Saint Michel circa 1987, parce qu’une amie à elle était en retard et que moi, je n’attendais personne. Je l’avais prise en photo argentique diapositive couleur puis l’avait revue encore par hasard dans les sous-sols de la gare d’Austerlitz où coule une rivière, la Bièvre. Nous nous étions embrassés sous la pluie entre République et Belleville, je me souviens de son corps noir et cambré dans la baignoire d’un ami rue Broca, puis de sa détestation quand elle découvrit en moi le pire des misanthropes. Normal. Aujourd’hui, je ne croiserais sans doute plus Sonia, tant les machines anticiperaient nos incompatibilités. Je le regrette. Sonia était un rêve, j’aimais son odeur et son parfum, ce dos comme une liane, la perdition de son sourire, et puis la pluie qui nous avait soudés.

La surveillance généralisée devrait retenir les phrases suivantes, me chercher, me dépister, me débusquer de ce qui me reste de tanière : je rêve d’un terrorisme vert, où les explosifs seraient recyclables, où l’on ferait sauter les serveurs informatiques, les data-centers, les centres de rencontre, voire les télévisions des gens dans les pavillons la nuit, quand ils dorment. Et puis, surtout, les antennes-relais. Je rêve de zones blanches - la lune - où plus personne ne pourrait communiquer à plus de trois mètres. Je retrouverais Sonia, son dos cambré, et je m’excuserais de ma misanthropie, de mon humour détestable, des moqueries face à ses amies que j’imaginais - mais avais-je tort ? - comme de futures employées de banque qui rêveraient en lisant Musso dans le métro.

Le Big Data ne changera rien à tout cela. Quelques fous se croiseront dans la dernière librairie du monde, nous boirons du vrai café et du vrai rouge, il y aura des pannes d’électricité et des étés tardifs, l’amour sera une valeur en berne, une espèce en voie de disparition, une illusion d’optique, une chanson triste sur un 33 tours vintage gravé orange seventies. Analystes venez me chercher, retrouvez-moi, évitons la perdition si vous en avez le temps, le courage, l’envie. En attendant, je regarde les enfants sur le trampoline se laisser emporter par la fatigue de la fin de semaine. J’espère qu’ils rencontreront une Sonia un jour, à St Michel, par le plus heureux des hasards, loin de Tom Cruise et des crimes anticipés.