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American Sniper

dimanche 29 mars 2015, par Grosse Fatigue

J’ai garé le monospace japonais à l’arrière du complexe cinématographique. Des salles géantes et des glaces industrielles, des jeux vidéo et des étudiantes en hôtesses de caisse pour boucler les fins de mois. Jamais des moches. Les moches sont sans avenir. J’ai fermé les yeux et vu New-York City, l’odeur du pop-corn et de la graisse et de la viande et du dégoulinant, je veux dire du dégoût lancinant, pour la dernière génération ayant vécu avant tout cela : la mienne.

La petite passe dans la cuisine pour se faire un sandwich. Elle a vu Divergente deux. Je ne sais pas de quoi il s’agit. Les enfants ont mis des lunettes et sont partis vers la salle 7. La petite sort de la cuisine. Elle m’a demandé ce que je tapais, de quoi ça parlait et pourquoi t’écris pas un roman papa ? Eh bien, ça va venir petite, dès que je serais guéri du mal du siècle français : procrastination.

Ma génération est suivie d’un précipice sans fin, ou bien peut-être ne sommes-nous séparés que par une pente douce, descendant vers l’american way of life ?

Dans la salle noire, j’ai cherché Eddy Mitchell, mais il est mort avec la fin de l’exotisme. Regarder un film américain est aujourd’hui d’une grande banalité. Regarder un film français est souvent d’un grand exotisme. Mes enfants chantent et jouent du Sardou depuis un mois à cause de La famille Bélier. Mais papa, les mélodies sont drôlement bien ! T’as eu de la chance à ton époque d’avoir autant de bonnes chansons !

Je pense à Léo Ferré.

J’ai passé un dimanche américain, malgré le passage à l’heure allemande. J’ai vu un film américain, dans lequel un soldat américain en Irak téléphone à sa femme au Texas et - étrangement - l’un et l’autre donnent l’impression d’être au même endroit puisqu’il n’y a pas de décalage horaire : grand soleil aux deux bouts du monde. Alors que le mari bidasse dégomme de méchants Arabes "sauvages", la femme lui demanderait presque ce qu’il veut au menu du soir : "Hamburger ou hamburger ?". Parfois les erreurs servent de symbole : le monde Américain est toujours à la même heure, partout dans le monde. Et notre héros, que défend-il ? Ce que défend Zemmour : Travail-Famille-Patrie. Que défendent les Sauvages ? La sauvagerie. Il est à noter que je ne suis pas bien sûr (malgré le nombre d’ordinateurs dans les PC de campagne de l’armée américaine), que le soldat américain soit moins "sauvage" que le soldat arabe. Ou bien n’est-ce lié qu’à la panoplie ?

Je sais aussi que le soldat américain défend autre chose, je l’ai dit, et j’y suis, comme on dit d’un terminus quand, en voyage, le chauffeur du bus nous parle dans cette langue étrangère avec les mains et les bras pour nous signifier que nous sommes arrivés et qu’il faut descendre. Mais descendre qui ? Plus personne. Ressortir du MegaComplexe en béton et tôles et écran numérique, reprendre les enfants, rentrer à la maison et faire des pop-corns. Demain, il y a école, on n’a plus de devoir, on aimerait bien consommer encore quelque chose qui nous tiendrait éveillé jusqu’au sommeil. Mais quoi ?

Le soldat américain se bat pour cela, pour que je puisse à nouveau manger du pop-corn en rêvant de Beyoncé. J’ai envie d’écouter Oum Kalsoum par pure nostalgie d’avant le monde unique. J’aimerais une alternative.