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L’âge des maladies

lundi 28 septembre 2015, par Grosse Fatigue

Je bois un café avec une collègue adorable qui vieillit en parallèle... Je lui parle de mes enfants elle me parle des siens on parle de tout et de rien. Et puis surtout elle me dit que son mari va mourir. C’est moi qui lui ai dit il y a quelques temps, du temps justement où j’étais le mari de la femme médecin. Je lui ai dit quand on a parlé de Steve Jobs et de tout l’or du monde, de cet accumulation si primitive d’un capital gigantesque, et qui, pourtant, n’a pu venir à bout de quelques cellules folles s’agitant dans la joie et surtout dans son pancréas.

Elle me dit : "Il va mourir en hiver". Je repense à Lino Ventura car il me vient des images dès que l’on me propose un titre de film. En voilà un. "Il va mourir en hiver". Elle n’a pas la larme à l’œil, elle est dans le combat. Elle me dit et toi, t’es dans le combat ? Je dis oui et non. A quoi bon se battre contre la mère de mes enfants ? Lui demander de l’argent et passer devant la juge dans un mois. Quelle importance ?

Elle me dit : "C’est l’âge des maladies". Une autre amie m’a appelé hier soir. Elle aime bien m’appeler après vingt-deux heures, c’est l’heure des privilèges et des confidences, l’heure du repli intime. Elle me demande : "Et si tu avais su ta vie à quinze ans, qu’aurais-tu choisi ?".

Je repense à sa question en pensant à Steve Jobs, le mari de ma collègue qui va mourir sans revoir le printemps. Je repense à sa fille de quinze ans, l’âge de mon fils, et à l’âge des maladies. J’ai déjà perdu deux amis. C’est l’âge des découvertes, d’une douleur au foie, d’une lourdeur à l’estomac. On ne se contente pas de s’abîmer les âmes en ne s’aimant plus, il faut que le corps s’amuse. On dirait parfois que tout est fait exprès, comme si la mort et son éventualité nous poussait à sortir notre dernière sève, avant l’hiver final, pour que les autres puissent mieux profiter des privilèges perdus. Je n’ai jamais autant écrit et regardé les gens qu’aujourd’hui. En un sens, merci.

J’ai très envie d’en parler aux enfants et de leur dire que la vie est si courte et que si j’avais su, à quinze ans, ce qui allait tournoyer autour de nos têtes, j’aurais pris un autre chemin. Finir clodo au Cambodge ou peintre à Los Angeles. Tenter l’aventure, les chemins de traverse.

La photographie.

Hier midi au déjeuner, juste avant qu’il ne souffle les bougies, nous avons écouté en boucle le poème de Kipling, pour que mon fils devienne un homme. Les enfants me disent que c’est bien beau tout ce qu’il dit, mais toi, tu y arrives papa ?

Non, je n’y arrive pas. Se mettre à reconstruire, en silence, c’est difficile. Ne pas être arrogant, avancer, être juste, non, je n’y arrive pas. J’essaye. Oublier la revanche. J’essaye.

Plier.

Tu essayes depuis combien de temps papa ?

Depuis que je connais ce poème. Assez tardivement. Depuis quinze ans, depuis que j’en ai conscience, depuis que vous êtes là. Je fais de mon mieux.

Je ne sais pas si la poésie évite les cancers ou si la littérature soigne les maladies. Je me suis dit aussi que la littérature n’évitait rien puisque la mère de mes enfants lit beaucoup et que l’on en est là. Les nazis aimaient Mozart et le cancer aime les innocents. C’est l’âge des maladies, il faut prévenir les enfants. L’avenir est au hasard.

Il faut en profiter. Profiter du hasard.

Peut-être.