GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Impuissances > Mon voisin fume sa clope

Mon voisin fume sa clope

jeudi 24 septembre 2015, par Grosse Fatigue

Je rentre du cinéma. J’ai vu Harvey Keitel et Michael Caine et Rachel Weisz et ses jambes. J’ai vu un bon film. Un film comme il me faut : un film qui permet à mon cerveau de penser à plein de choses, et surtout au sens de la vie, un film qui fait un peu progresser.

Je rentre du cinéma. La chatte m’interroge à la grille du jardin. Je parle le chat depuis mon plus jeune âge. Je n’ai jamais cru le mari de ma sœur quand ce gros con m’assurait que les chats ne venaient vers nous que pour bouffer. Ce gros con aimait les chiens comme un pléonasme. La chatte me demande si les enfants arrivent bientôt. Elle a compris que leur mère est partie définitivement, mais les enfants, elle les voit assez souvent pour espérer les revoir et qu’ils la prennent dans leurs bras maladroits d’enfants trop petits... Ça la rend plus grande la petite chatte grise et j’en fais des photos. D’ailleurs, je dois écrire un texte sur la place du photographe. En jetant toutes les photos de mon passé, je me suis aperçu que je n’étais pas dessus : c’est moi qui les prenait. Non seulement mon passé s’est engouffré dans le camion jaune du recyclage, mais dix-sept ans de vie avec les enfants ont disparu sans moi....

Je rentre du cinéma. De la salle de bain, je vois que la lanterne éclaire la terrasse du voisin en contrebas. Je le croise de temps en temps. C’est un ours triste qui fume une clope en jouant au golf. Enfin, en faisant le geste. Hiver comme été, il est là, avec son club, il fait son geste.

Il m’a fait l’apologie du golf un jour. Et puis après, il n’a plus rien dit. Je ne sais pas s’il pense à autre chose. Sa femme est partie avec une autre femme. Depuis, il n’en a plus jamais parlé. Il ne lui a rien dit. Il a laissé tomber. J’aimerais bien faire comme lui. Mais en rentrant en vélo l’autre soir, je l’ai croisé. Et puis j’ai compris : ce type là, il est triste. C’est pas que c’est un ours ou un sauvage ou un golfeur. C’est juste que c’est cassé dans l’engrenage, et qu’il est triste.

C’est moche. Il est minuit. Il vient d’éteindre la lumière. Mon insomnie peut commencer. Je me demande si je vais être comme lui. Là, à ne rien dire. Il aime pas vieillir. Ça l’ennuie. Je suis sûr qu’à l’intérieur, il doit bouillonner. Bouillir. Mais il ne dit rien. Il refait son geste, comme un artisan. Comme s’il fallait encore progresser. Il a peut-être raison. Un geste, un seul, pour s’améliorer, sans se soucier des circonstances et des femmes parties qui vous cassent à l’intérieur en vous ayant fait croire que et puis non.

Le même geste, constamment.