GROSSE FATIGUE cause toujours....

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Les lettres d’adieux.

mardi 22 septembre 2015, par Grosse Fatigue

Je lui ai écrit des tas de lettres d’adieux pour qu’elle revienne. C’est un gouffre sans fond, comme un traitement anti-cancéreux qu’on injecterait jusqu’au cimetière, dans la plaie noire d’une veine défaillante. On insisterait face au cadavre, sans admettre qu’il n’y a rien à faire. J’imagine que tous les gens honnêtes ont fait comme moi. Tenter tout jusqu’au bout. Malgré l’horreur et surtout l’évidence : aucun amour pendant dix-sept ans. La preuve : d’autres t’ont montré depuis ce que c’est que l’amour, ou même juste, la tendresse, le désir... Et ça fait bizarre, non ? Et tu te souviens de celles d’avant ? Même sans sentiment, elles te sautaient un peu au cou quand même, non ?

Si.

SI !

En fait mon pauvre - moi-même - je me cause, eh bien, moi, là, toi, ici, voilà que, non seulement tu tentes de réanimer un cadavre, mais ce cadavre de ton couple a toujours été un cadavre. Les gens me le disent : fais-toi une raison !

Mais elle est revenue. Alors ma raison en orbite a du mal à retrouver son plan de vol. Ça va revenir. Enfin bon.

C’est que ça fait plus de dix-sept ans que j’attendais qu’elle-même. Elle-même ! Pas une autre, non, elle. J’en avais conclu que, bon, à contre-cœur, mais j’en avais conclu qu’elle était ainsi faite, qu’elle ne pouvait pas aimer, désirer, toucher, caresser, vouloir, etc. Mais tu te mets à nu pauvre idiot !

Oui. Un peu. De toutes façons, j’écris pour moi. J’écris des montagnes de trucs en vrac à la Gotlib parce que ça me permet de faire défiler le temps plus vite. Beaucoup plus vite.

Donc j’attendais. Je ne savais pas qu’il n’y avait aucun amour, et puis, un jour, je me suis fait une raison : elle n’a pas d’amour parce que sa mère. Sa mère ! Il suffisait de la voir pour comprendre à quel point son carrelage lui ressemblait ! Je l’avais ma psychanalyse ! Une mère aussi froide, distante, méchante, mauvaise, laide, infecte, épouvantable ! Ça vous abîme une enfant. Et surtout une enfant adoptée. Et surtout quand on lui donne un prénom composé pour faire bien français, bien blanche, quand on a la peau dorée des fins d’été même en hiver. Ça vous fout la honte ce genre de marâtre.

Freud. TU parles.

J’attendais. Il y avait des crises. Une à deux fois par an. Et puis ça ne lui faisait rien. Elle vivait avec son meilleur ami. Moi. Meilleur ami. Là maintenant, c’est très clair. On n’a pas envie de son meilleur ami. D’ailleurs, quand, parfois, elle ose m’en parler, je lui manque. En tant que meilleur ami. Pour le cinéma et les sorties, le théâtre et la musique, le sport. J’étais un bon accompagnateur.

Quelle horreur.

Je ne peux m’en prendre qu’à moi. Je vais me relire souvent, j’ai besoin de mots d’ordre, j’ai besoin de conduite à tenir. Je ne mets pas de points d’exclamation à cause de Céline. Pas de point d’exclamation merde.

Je suis resté dix-sept ans avec mon cadavre, à attendre. Une vie. Mais pourquoi ? Je sais pourquoi.

A cause de l’espoir. Les couples s’usent et passent des illusions de l’enthousiasme à la banalité du quotidien, la fin de la magie. Moi, je la regardais comme un mystère. Chaque jour, j’attendais que le mystère s’ouvre, s’offre, comme un coffret magique. Mais jamais. Avec le temps, c’était pire. Elle m’ignorait, et si jamais, on devait sortir quelque part, et que je disais n’importe quoi parce que les gens m’énervaient, elle s’en moquait bien. Elle ne me présentait à personne. Et ne ressentait rien de ce que je ressentais. Comme c’était étrange. Comme c’était froid.

A cause de l’espoir. Et puis j’ai cru que l’espoir disparaîtrait. Mais non. Elle aime corps et âme un énorme imbécile.

C’est vraiment trop injuste les lettres d’amour, c’est un vrai cancer ce sentiment, une métastase, il faudrait trouver un traitement. Je cherche.

Je cherche je cherche je cherche. Il faut tomber amoureux d’une femme bien.

Oui voilà.

Le mal par le mal. En quelque sorte.