GROSSE FATIGUE cause toujours....

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Ne rien attendre

dimanche 20 septembre 2015, par Grosse Fatigue

L’espoir fait vivre, voilà le problème. J’en parlais ce soir avec un ami, ébahi, me demandant pourquoi je suis resté si longtemps avec une femme sans sentiment.

Ben, j’attendais.

Il m’a répondu voilà bien le problème, c’est comme les types qui attendent la retraite ou ceux qui attendent que ça morde, il y a toujours des gens qui attendent, toi t’as attendu l’amour, il ne faut pas attendre, c’est comme la procrastination (regardez-moi), ça ne donne rien, ça donne une vie qui passe à rien, rien de rien. Et puis un jour tu t’aperçois que tu as attendu pour rien, que tu n’es pas écrivain, que tu es vieux, que les filles te proposent leur place dans le bus et que ça te met hors de toi parce qu’il est trop tard.

T’aurais dû la quitter tout de suite.

Oui sans doute.

Mais plus il y avait d’enfants, moins j’avais envie de partir. J’étais heureux malgré l’attente. C’est même pour ça que je suis resté : pour attendre. Parce que les histoires d’amour finissent mal, et comme là, ça en manquait, j’attendais que ça vienne. C’est venu. Mais pas pour moi.

Faut pas attendre. Il faut encore une fois prévenir les enfants. Je vais prévenir les miens : ne pas attendre. C’est le meilleur conseil qu’on puisse leur donner. Fais ta vie mais fais-la, vite. N’écoute pas ce qu’on te dit, fonce et fais ce que tu dois faire, ne pas attendre. Attendre, c’est ce que l’on nous demande. Regarde ton père : il ne fait qu’attendre. Vivre de projets qui ne feront qu’attendre. Brel, encore Brel. Ah non merci. Ne pas attendre. Faire. Action. Cinéma. Musique. Littérature. Pas de supérieur hiérarchique. Pas de hiérarchie. Ne pas attendre.

Ne pas répéter ce qu’a fait ton père en attendant ta mère.

Ne rien attendre de rien ni de personne sauf de soi, du bouillon intérieur, et le faire.

Je me suis souvenu de Rachid qui me parlait de son père qui lui parlait des juifs. Il lui disait, tu vois, tu verras jamais un juif aller à la pêche à la ligne. Il ne veut pas attendre pour pêcher un poisson. Les juifs sont efficaces, ils ne veulent pas attendre. Nous, les Arabes, on attend toujours je ne sais quoi. Quand Rachid m’a parlé de son père, je n’ai pas pensé aux juifs car je hais l’essentialisme et que je suis sûr qu’il y a des juifs aussi fainéants que moi quelque part. J’ai pensé à mon père. Mon père a attendu la retraite toute sa vie. Il a eu la chance de la prendre à soixante ans. Dans onze ans pour moi. Puis il est mort six ans plus tard. Mon père adorait aller à la pêche. Quand je l’accompagnais et que j’amorçais à fond dans un coin pour attirer le poisson, il trouvait que je trichais. Que j’aurais mieux fait d’attendre. Moi, je voulais surtout pêcher beaucoup de gardons. Lui, il contemplait. Je m’en suis longtemps voulu. Je me suis dit qu’il avait raison, qu’il fallait regarder le temps qui passe.

Et puis non. Ne pas attendre. Surtout pas. Faire. Ici. Et maintenant.