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Les mômes sont partis

vendredi 4 septembre 2015, par Grosse Fatigue

J’ai déposé les petits à la primaire, la grande au collège. On s’est promis de s’écrire. On ne se verra pas pendant une semaine. En écho j’entends les autres me dire d’en profiter. N’est-ce pas l’argument de leur propre mère au moment de me quitter ? Tu pourras en profiter !

Mais profiter de quoi ? J’ai profité de ma jeunesse, j’ai profité de mes enfants, et pour les enfants, je n’avais pas prévu l’abandon de mon rôle. Un mi-temps ! Père à mi-temps ! Mais quelle horreur !

Je viens de les avoir trois semaines. J’avoue que j’en avais marre parfois. C’est qu’il est long le temps à faire la cuisine, à trimballer, à jouer aux légo™, à lire Youpi™, à faire des gâteaux au chocolat, à la banane, à faire de la musique et à se promener. A râler aussi, à ranger. A faire la vaisselle.

Mais j’avoue : pour rien au monde je n’ai envie de voir mes enfants partir chaque semaine. C’est un crève-cœur, c’est s’avouer qu’on a raté sa vie. J’ai raté ma vie, mais complètement. Les autres divorcés peuvent bien être optimistes, s’inventer un style de vie, une consommation d’eux-mêmes. Je ne suis pas de ce bois-là. J’étais trop anti-conformiste pour m’habituer à la séparation, à la perte des enfants. Je rêvais d’une famille à moi, le contraire de ce que j’avais vécu. Deux parents qui s’aiment, un potager des amis, une terrasse en bois, de la fantaisie et beaucoup de musique. Tout cela reste, figé, dans les faits et dans mes souvenirs. Je n’invite plus personne ici, et les amis n’appellent plus : je leur renvoie en miroir ce qu’ils pourraient être. Tout se fige. Seuls les enfants donnent du mouvement au lieu, aux murs, à mes photos.

Les enfants partiront un jour, de toutes façons. Non seulement j’aurais complètement raté leur éducation, mais ils partiront de toutes façons. Il sera temps de vendre cette maison qui n’est pas à moi, de trouver une bicoque minuscule à louer, de voir le monde continuer à pourrir en lisant des romans qui ne diront pas le contraire.

Et puis à la radio, on me rappelle que, pour d’autres, les enfants partent définitivement, sur une plage, sorte d’Omaha Beach de l’enfance, quelque part en Turquie. Oui, les enfants meurent aussi. Les enfants ne sont plus la source de nos vies. On les tue, on s’abandonne, on leur offre des gadgets, on les laisse seuls. Eux-mêmes seront des adultes à moitié. Eux-mêmes trouveront normal d’abandonner leurs enfants. Quand ils survivent, occidentaux.

Mais à la radio, on me rappelle que l’on enlève les jeunes filles dans des pays épouvantables. Tout pourrait être pire. Tout pourrait être vraiment mort. J’ai regardé ma fille s’éloigner de ses treize ans, devant son collège moderne années cinquante. Elle s’est retournée et m’a fait un grand signe de la main. Elle sait que j’en bave, mais elle a sa vie à vivre.

Pour le reste,

Il suffit d’attendre.

A la radio, on nous promet un temps sec et humide.