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Un libraire à Montpellier

mercredi 29 juillet 2015, par Grosse Fatigue

A Montpellier j’ai vu des femmes magnifiques qui décoraient les rues de la plus belle ville de France. Les filles dans le midi ont toujours un truc en plus. Le soleil exactement. Mais à Montpellier, elles évitent pour la plupart la vulgarité de la Côte d’Azur même si, après tout, je n’en sais rien.

Aux jeux pour enfants des gamins des banlieues voulaient castagner les miens, ça leur apprend à vivre m’a dit mon amie. Elle n’a pas tort. Tant qu’on ne sort pas les flingues : il faut s’y faire. Les fils des femmes voilés sont déguisés en joueurs de foot de Barcelone. Etrange héritage pour ces enfants-là. Des mères cloitrées et des pères absents, un horizon de ballon rond.

Plus loin autour du bassin rond, une jeune fille très voilée discute avec une fille très dénudée, tatouée et enthousiaste. Je ne sais pas si je garde espoir.

Puis j’ai filé à la plus grande librairie de France, même si ça n’est pas forcément le cas, pour offrir à mes hôtes des livres à partager. Russell Banks, American Darling, et Eloge du carburateur, que j’ai sans doute offert une dizaine de fois. Chacun son prosélytisme. En demandant le second à un libraire, nous nous mîmes à causer. J’ai une grande tendresse pour les libraires, je veux dire les vendeurs en librairie, surtout s’ils connaissent leur boulot, on n’est pas à la FNAC.... Et celui-là s’enthousiasme et me propose très vite un autre essai. Je sais très bien ce qu’il ressent. Moi aussi j’ai été vendeur en librairie suffisamment longtemps pour connaître l’ennui, l’attente de la pendule et la libération de 18h55 quand on remballe. La librairie, c’est d’autant plus triste que ça ne tient pas ses promesses. Entre les demandes de "Voltaire, de Candide s’il vous plaît"... Et les amateurs de best-sellers, au secours ! J’ai d’ailleurs vu une femme très jolie tripoter une livre de Lévy à côté d’un ouvrage de Coelho. Mes pulsions érotiques se sont alors rapidement cérébralisées si l’on peut dire, et, en soupirant, je me suis éloigné.

Je sais que mon vendeur est heureux. Ce n’est pas un essai, c’est un roman : Ringolevio. Excellent.... Je lui accorde dix minutes de discussion, comme de l’oxygène en apnée. Il me propose un livre sur la contre-culture américaine, avec une tranche orange et une traduction qu’il juge de qualité. J’ai le livre dans les mains. J’ai quarante livres de retard en comptant ceux que l’on m’a prêtés et ceux que je devrais écrire. Mais je l’ai dans la main et je le garde, et j’écoute mon libraire comme je me vois en 1990, à essayer de convaincre quelqu’un de partager avec moi l’envie de lire, et le départ assuré après trois pages. Je le laisse parler, je ne dis pas grand-chose, je lui pose même des questions. Je participe à la libération d’un type qui, comme moi, serait mieux ailleurs que dans ce job. Il pourrait être écrivain et se taper des tas de nanas, mais il faut bouffer et il a sans doute le gros défaut de l’honnêteté. Il faut être honnête pour continuer à travailler dans une librairie. Parce que l’on y perd son temps sans y gagner sa vie, tout en côtoyant le monde meilleur des pages noircies. C’est dur.

Je ressors satisfait. Le centre commercial est une grosse verrue pensée par des urbanistes dans les années soixante-dix. Pour un Rolland Castro, combien de castrés ? La belle affaire. J’espère que les bulldozer™ passeront ici au plus vite, quand internet aura fini d’en finir avec le commerce de proximité.

Mon vendeur ira faire la manche à Sète, je dormirais dans un motel à Palavas-les Flots, ce qui m’est déjà arrivé, et chaque année, des gens iront à Montpellier pour une dose de sud.

Le temps dure longtemps. Voilà.