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Un Chinois mon ami

mercredi 8 juillet 2015, par Grosse Fatigue

Au début d’année, on ne comprenait rien à son sabir au Chinois. Il était très volontaire, très enthousiaste, il souriait dans le rang du fond. Au fur et à mesure, il s’est rapproché. Les autres Chinois sont restés au fond, avec leurs traducteurs électroniques. Mais lui, la joie l’a pris. Il posait des questions incompréhensibles. Mais c’était très bien. A la fin, au bout d’une vingtaine d’heures, on a compris quelques phrases.

Mon étudiant chinois m’a dit dans le couloir "Vive la France Docteur !". Il a dit "docteur" parce qu’on leur a dit de dire ça... Ça m’a fait marrer. Je suis pour. Merde. Y’a pas que la médecine dans la vie. Il paraît - mais je ne sors pas des frontières, j’ai peur - qu’à l’étranger, même en Allemagne par exemple, on m’appellerait docteur aussi ! Et pas les Chinois d’Allemagne ! Même les Allemands m’appelleraient Docteur : ah j’en peux plus.

Revenons à nos moutons. Il me dit mon Chinois : "Vive la France !". Il est formidable quand même à me dire "Vive la France !" comme ça, sans ambage, avec un enthousiasme irréprochable. Il me dit qu’en France, au fin fond de ma province, il peut voir des gens du monde entier boire des pots en terrasse. Il me dit qu’au cinéma, il voit des films chinois en chinois sous-titrés en français au milieu d’un public de vieux enseignants retraités qui aimeraient la papaye verte. Il me dit qu’il veut lire Voltaire et d’autres, parce que la France, c’est quelque chose ! Quel Chinois cet étudiant !

Je l’ai revu en juin. Il parle français comme vous et moi les Québécois, avec un accent un peu bizarre. Il me dit : "Et les restaurants !". "Et les Françaises !". Il a l’enthousiasme d’un GI d’après-guerre, un Miles Davis pour une Juliette Gréco ! Il me dit que la France sera toujours la France même si les Français seront quand même toujours les Français en fronçant les sourcils. Je vois bien ce qu’il veut dire.

C’est que, parmi nous, en France, il restera toujours des gens de bonne volonté. Toujours. Je ne sais pas comment les appeler. Mais ils existent. Ils sont contre, ils luttent, ne vont pas dans le sens du vent sauf lorsque, peut-être, il faut planter une ou deux éoliennes. En France, il y a des gens un peu critiques. Oui : nous. Enfin moi, j’espère en faire partie. Mon Chinois me rassure : il va rester ici. Ou alors, il reviendra. Et puis il restera s’il peut revenir. Et s’il ne peut pas, il pensera à nous avec son cœur qui pleure. Il parle comme ça maintenant. Il veut lire Victor Hugo, il veut lire les grands hommes. Il aime les vieilles pierres et notre sens de la conservation. Je fais un jeu de mot sur notre sens de la conversation. Il en rit par politesse. Il me dit merci professeur.

J’éprouve alors ce sentiment d’avoir été utile et fertile. J’éprouve cette fantaisie baroque face à ce que l’on devrait chaque jour éprouver : avoir vu une étincelle dans un œil d’enfant, même si ça n’est pas un enfant. Même si l’on ne fait pas de grosses bulles de savon, même si ça n’est pas la maternelle.

J’espère qu’il reviendra. Il n’a pas encore vu mon potager. Il va falloir désherber, s’y remettre.