GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Parents d’élèves > Confisqué !

Confisqué !

jeudi 11 février 2016, par Grosse Fatigue

Souvent.
Elles sont deux au fond de la salle. Une brune une blonde. Elle sont au fond de la salle et c’est un signe : elles ont autre chose à faire. C’est à chaque cours ainsi.

Aujourd’hui.
Je me place derrière elles pendant les exposés, car pour une fois, je suis au fond de la salle. La blonde est nerveuse, addiction évidente : il faut qu’elle tripote quelque chose. La plupart du temps, c’est son portable. Ou son tatouage, ou son piercing infecté. Elle me fatigue. Elle est la preuve que l’on donne le bac à tout le monde. Autrefois, une camionneuse avec un tatouage multicolore sur la cuisse n’aurait même pas eu le droit d’entrer dans un lycée. Sauf le respect. Après tout, les camionneuses d’aujourd’hui sont peut-être très élégantes et écoutent en boucle autre chose que la merde ambiante des victoires de la musique - laquelle putain ?- après tout : je n’en sais rien. Je ne fais plus de stop. Et puis les chauffeurs de poids lourds n’avaient pas le droit. Pas le droit.

Ce que l’on dit en cours ne l’intéresse pas. Elle a fait un exposé en copiant puis en collant tout ce que l’on peut trouver ici-même, schémas, citations, gloubi-boulga™ fabuleux. Rien à comprendre. Rien du tout. Il suffit de répéter ce que d’autres ont fait. C’est d’ailleurs sa vie de chaque jour : répéter ce que font les autres, suivre la mode, rester connecté.

Singer.

On en est là.

Je me lève et, en souriant, je lui confisque son portable. Après tout, elle a vingt-cinq ans, je pourrais être son père. Elle râle : son sens de la justice.

Puis je l’observe. Elle se tortille. Elle enroule ses boucles de cheveux autour de ses doigts. Elle se retourne. Elle se plie. Elle ouvre son ordinateur. Elle le ferme. Elle l’ouvre à nouveau. Elle bouffe un crayon. Elle claque du pied. Elle regarde en l’air. Elle tripote son piercing infecté. Elle se tient à la table. Elle prend sa trousse dans sa main. Elle a une trousse : mais elle n’écrit jamais. Elle s’agite et se convulse.

Je lui ai confisqué son téléphone portable, et son corps disjoncte.

Elle est nombreuse, elle est la prémisse. Pas l’une des prémisses. LA prémisse de ce qui vient. Le besoin de manger constamment, d’avoir quelque chose à lire rapidement, un smiley à envoyer, un truc à tripoter. Rien qui ne puisse durer longtemps, pas de concentration, ce regard obsessionnel.

Je sais maintenant qu’elle me déteste. Je l’ai privée de sa came, de sa raison d’être, de ce non-lieu dans lequel elle se débat contre elle-même, contre l’ennui d’être-là comme disait mon nazi préféré, Heidegger, l’ennui d’être-là et d’être aussi inutile.

Elle continuera à singer, avec cette fierté mal placée, cette fierté que l’on retrouve dans les regards des prolos anglais dans les films de Ken Loach, avec la morve au nez et le nationalisme en toile de fond, quand ceux-là ne sont pas du bon bord. Elle est le prototype de ce qui va nous arriver. Elle continuera à singer, mais en groupe, car elle pullule, ils se reproduisent, ils se contaminent.

Le reste n’a aucun intérêt.