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Un nouveau messie

jeudi 1er décembre 2016, par Grosse Fatigue

Parfois j’anticipe des choses. Je me trompe souvent. Mais parfois j’anticipe des choses.

Comme la fois où les filles au dernier rang de l’amphithéâtre se regardaient le nombril parce que c’était septembre et qu’elles étaient encore à moitié nues et qu’elles étaient fières d’avoir obéi à un diktat à la mode, celui de la mode, précisément, du piercing dans le nombril. L’année d’après, c’était le bas du dos et le tatouage ethnique. J’en concluais sans en être bien certain, à la fin de l’intimité et à la marchandisation du corps, et sans avoir le courage d’un Baudrillard pour en faire un livre avec beaucoup de pages redondantes.

Depuis quatre ou cinq ans, j’attends le messie.

Mon messie, ce serait un étudiant la vingtaine qui me dirait : "Moi, je ne lirais jamais un livre". Non. Pas de conditionnel : "Moi, je ne lirai jamais un livre".

Mon messie est arrivé l’année dernière en cours. Après lui avoir donné quelques références qu’il s’empressa de ne pas noter, et devant mon faux-étonnement puisque rien ne m’étonne, il lança ma phrase prémonitoire. "Moi, je ne lirai jamais un livre".

J’ai répondu :

Ça fait cinq ans que je vous attends.

Et je suis parti de l’une de ces diatribes inutiles mais bien moins chères que le divan des charlatans. Je lui ai dit (il reste du Bourdieu en moi), je lui ai dit que ça n’était pas de sa faute s’il était non seulement très con (c’est-à-dire bête ET fier de l’être), mais aussi vide, totalement vide, aussi vide que ce qu’en aurait dit un Lipovetski par exemple. Je lui ai dit que tout a été préparé pour que son cerveau humain ne résiste pas à la pression permanente du Coca-Cola™ et d’autres multinationales afin qu’il ait l’impression de se nourrir et d’être quelqu’un, alors qu’être quelqu’un ce devrait justement être le contraire. Je lui ai dit que la rébellion qu’il pensait représenter parce qu’il était jeune et qu’il pensait que je ne l’étais plus était l’illusion de son cœur et de ses artères mais que dans le fond, il ne pourrait pas me suivre en vélo dans le Ventoux, plus parce qu’il était incapable d’apprécier le paysage que pour tout autre raison.

Ne pas lire et s’y croire : Aznavour sans parole ni musique, juste une affiche et des pixels, mais rien d’autre. Le messie, le premier non seulement à assumer l’ignorance, mais aussi à la revendiquer comme le droit d’être libre et détaché, d’être comme tout le monde : formaté dans le plaisir.

C’était donc ça.

Il faudrait un nouveau Huxley, un Ira Levin ou un Orwell post-moderne pour écrire tout cela, dans un récit haletant avec plein d’effets spécieux et surtout de la 3D. Mais ceux-là avaient encore un public éduqué quelque part alors qu’aujourd’hui, il ne nous reste que les prisonniers Chinois....

Je me suis mis à rêvasser en bavassant des choses sans intérêt.

Puis j’ai fini mon cours.

Une étudiante m’a proposé de m’offrir un café pour me remonter le moral, et m’a demandé ce qu’elle pourrait lire pour ne pas finir comme Nabila, tant la pression était forte. Puis j’ai éteint la lumière, je le jure : tout est vrai.