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J’aime pas l’amour
mardi 30 juin 2015, par
Un jour, la petite qui est maintenant grande m’a dit : "Papa, j’aime pas l’amour". Un autre jour beaucoup plus tard, la grande m’a dit : "Papa, franchement, je préfère l’amitié, j’espère que ça ne m’arrivera pas l’amour".
J’écoute sur France-Inter, en attendant la chaleur et en rangeant mon bordel intime, une émission sur Epicure. Bien sûr : ne pas aimer. Surtout, ne pas s’infliger cette souffrance. J’aurais dû y penser. Il faut prévenir les enfants.
Puis j’ai pensé à cette fille dont j’ai oublié le nom. Je croyais avant de la rencontrer que la plus belle fille du monde, c’était Adélina T. Elle était arrivée en flottant au-dessus du sol de la cour du collège en quatrième, et nous rampions derrière elle comme des rats affolés. Tous les garçons de l’école avaient été frappés par cette foudre, cette beauté sublime. Elle en souffrait sans doute, avant de choisir l’arrogance comme habit de tous les jours, et nous redonner de ce fait notre liberté. Pour ma part, il m’a fallu au moins deux ans pour oublier sa beauté.
C’est à la fac que j’ai rencontré la plus belle femme du monde. Une Indienne de Pondichéry, qui aurait sans doute permis à tous les fachos de France de virer leur cuti - laissez-moi rêver - tant elle était plus que parfaite, comme on dit en conjuguant maladroitement nos rêves d’amour. Je jouais du reggae avec ses frères quand le plus beau d’entre-eux ; son double masculin ; n’était pas disponible à la batterie. Chacun s’était marié avec une française de souche comme on dit aujourd’hui, pour redonner un peu de vigueur à nos consanguinités. Quant à elle, elle aimait profondément un Congolais pas très beau, dont nous étions d’autant plus jaloux qu’il était vraiment le type le plus gentil du monde, ceci expliquant cela.
Elle nous annonça un jour qu’elle allait se marier. Avec un Indien d’Inde choisi par ses parents. Elle nous dit qu’elle oublierait son ami Africain si charmant. Qu’elle apprendrait à aimer son mari. Que ses parents s’étaient mariés ainsi et qu’ils s’aimaient toujours autant.
La nouvelle me glaça le sang.
Mais maintenant que j’aime pas l’amour, je repense à elle. Je me demande si elle est toujours aussi belle et charmante, si elle a toujours ses mains sublimes, ses chevilles si fines, ce regard si lumineux. Je me demande si son invention même a encore un sens passé le temps de la jeunesse. Je me demande si elle n’avait pas raison au fond.
Au fond.