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Nocturne

dimanche 28 juin 2015, par Grosse Fatigue

J’ai raccompagné ma grande fille chez sa mère dans la vieille ville. En attendant que sa mère ne me parle en pure perte, j’ai vu un scarabée énorme voler au-dessus de moi, comme un chevalier moyenâgeux portant une armure, comme un hélicoptère silencieux et puissant. Il faisait chaud et les gens buvaient pour oublier l’ambiance dans les médias, l’ambiance à distance, en Syrie, en Tunisie, n’importe où ailleurs. Ailleurs est devenu synonyme de pire. On en viendrait presque à ne pas partir en vacances.

Les gens buvaient à la terrasse des cafés et je ne suis pas rentré si tard. J’avais la tête un peu vide et l’air était encore chaud. Ce matin, dans le goudron fondu des campagnes estivales, j’ai vu des pailles de blé collées à jamais. Je ne sais pas si ce nouvel alliage aura un jour des vertus écologiques mais je suis certain qu’il signifie une chose rare : c’est l’été.

J’ai savouré l’été la nuit dernière dans le grand lit où je ne m’agite plus guère sauf quand Sophie passe mais c’est très rare.

J’ai écouté les bruits la fenêtre ouverte, comme dans les comédies de Woody Allen avec des papillons nocturnes, des fantômes et des choses à boire. Le ciel a conservé ce bleu sombre constellé de poussières blanches écarlates, ces étoiles qui nous font une voûte à défaut de nous donner un quelconque espoir sur notre solitude humaine. Dans mon sommeil, j’ai entendu la voisine parler puis rire. Ses invités riaient aussi. Je crois qu’elle déménage à nouveau, qu’elle s’en va encore. L’air de la nuit faisait résonner les voix plus qu’à l’accoutumée, histoire de nous rappeler que l’homo-sapiens est fait pour l’été et la chaleur, et sans doute pas pour le Groenland, par exemple. Tout ma nuit fut rythmée par la mélopée des voisins et des fêtes ou des barbecues, sur lesquels je me concentrais. Le monde était paisible et heureux, quelques mobylettes™ pétaradaient au loin, sans doute des bouseux venus en ville boire un verre loin des odeurs de la porcherie.

J’aime les nocturnes de juin. C’est l’un des rares moments où j’aime les humains que l’air entoure et embrasse, comme pour nous consoler de l’hiver dernier. Les gens rient et boivent, et s’enivrent en mangeant des fruits du jardin quand il en reste. Les fleurs sont en fleurs. Les filles de seize ans nous rappellent les filles de seize ans quand nous aussi.

C’est bien ainsi.