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Une photo parfaite
mardi 30 juin 2015, par
Je ne supporte plus les photos parfaites. J’ai encore vu un type derrière un reflex avec un flash énorme faire des photos dans un concert. Tout était raté. Mais raté.
La photographie devrait être interdite. Du moins celle-là. De quel droit peut-on prendre de tels clichés ? La photographie n’est pas faite pour reproduire le réel. Il n’est nul besoin de ressemblances, de vraisemblances, de réalité, de précision, on s’en fout. Il est question de l’instant et du cadre. Qu’avez-vous donc en tête pour vous forger un regard aussi médiocre ?
Je me disais tout cela l’autre soir.
Et puis j’ai rencontré à Montparnasse le vendeur de mon nouveau reflex d’occasion parce que, franchement, vu le prix du neuf et le taux de renouvellement....
Nous avons fait affaire. J’ai retiré du liquide en plusieurs fois, griffonné un chèque en regardant passer des nanas parisiennes aussi sublimes que l’une de mes sœurs, la parisienne, sur les films de mon père en super 8, dans la lumière des années soixante-dix. Car il faut l’avouer : chaque époque a sa lumière. La nôtre est drue et trop blanche. Chaque époque a sa technologie lumineuse, sa pellicule, son Blu-ray™. Les parisiennes continuent à se promener du haut de leurs talons compensés comme si rien n’avait changé, comme si l’on roulait encore en Fiat 500 ou en Simca 1100, en imaginant que Giscard d’Estaing c’est moderne, en attendant d’aller voir Dutronc à l’Olympia, à faire la queue pour les Marquises en 33 tours.
Mon vendeur m’a payé un café. Je n’avais plus un rond et plus de monnaie, impossible de retirer du liquide, j’étais bien embêté dans Paris. Mon vendeur m’a parlé de sa fille, qui fait des photos aussi. Il m’a dit : "Quantité et recadrage, un point c’est tout". Il avait la soixantaine. Comme moi, il avait rêvé d’un Nikon F3 HP (j’en rêve encore), d’un objectif Angénieux made in France, voire d’un Leica M, d’un Hasselblad, de ce genre de choses qui duraient longtemps. On a parlé ouverture et profondeur de champ. Rolleiflex. Ces quelques minutes m’ont apporté un grand bonheur. Nous avions vécu les mêmes moments, dans les vitrines du boulevard Beaumarchais où seul ou presque subsiste un Chinois derrière une vitrine en caverne d’Ali Baba. Les prix affichés sont tellement élevés que l’on pousse un ouf de soulagement quand il dit - à chaque fois - "Mais comme ça vous fait plaisir je vous fais une ristourne"...
Il n’y a plus de cadrage ni de vision. Il y a des modes, des découpages, de la définition en pixels. La réalité photographique dépasse la réalité tout court. Ce que l’on voit en photo, c’est pire que la vie réelle. C’est comme si la vie et les rues étaient illuminées comme des studios de pros. C’est laid. Il n’y a plus de gris. Et les nuances du même nom mériteraient plus de Cartier-Bresson et moins d’érotisme de supermarché.
Nous avons conclu ainsi.
Non, je ne sais pas développer les "raw". Oui, la poussière s’accumule dans mon laboratoire. Les bacs sont vides et l’agrandisseur éteint. Oui, tout cela est vrai. Mais j’attends toujours ce moment où je pourrais y remettre les pieds. En hiver généralement.