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Un matin en juin

vendredi 5 juin 2015, par Grosse Fatigue

Il est six heures du matin c’est un matin de juin, le silence de la mer plane alentour je dors chez une amie inconnue. Pas une mouette dans le ciel, des bateaux allongés par la marée perdue. Il est six heures et je suis debout, je regarde la chaleur monter et j’entends les corps se réveiller lentement dans la torpeur de la journée qui nous attend. La lumière est encore douce et trouble, le ciel est d’un bleu foncé évaporé vers le bleu ciel, le bleu du ciel. Je ne suis pas du matin mais le matin m’a pris par la brise de la fenêtre ouverte, comme un vent du Sahara.

Elle se réveille et me sourit. Je ne sais pas ce que je fais ici. Elle est plus jeune que moi et très jolie. J’ai vraiment honte. Je regarde la mer. J’ai vécu cela il y a longtemps. Une femme inconnue chez laquelle on dort et tout s’endort même très tôt le matin, comme le temps se suspend. Je scrute l’horizon. On voit le port au loin, des tankers amarrés. Elle se colle à moi et je sursaute. Le cadre est enchanteur et tout serait parfait. On pourrait filmer la scène en panoramique, en années soixante. On ajouterait une musique comme dans Il était une fois en Amérique. Ce serait le début d’un film sur une rencontre hasardeuse, sur des choses que l’on construit. Ce serait le happy-end dès le début. Mais il fait chaud déjà.

Ou bien ce serait la fuite. Il faudrait que quelque chose cloche.

Et quelque chose cloche.

Je me souviens d’un autre matin en juin avec Marie-Laure, que je regardais dormir en buvant du thé. Je m’étais levé tôt, à cause du vent du sud et des draps trempés. Les oiseaux chantaient à tue-tête, puis les voitures ont instauré un fond sonore et Marie-Laure a ouvert les yeux. Elle m’a souri et m’a demandé de m’allonger près d’elle en jetant les draps au pied du lit.

Ce matin d’aujourd’hui, je suis trop vieux pour cela. Je la regarde et je ne sais pas comment lui dire. Je voulais il y a quelques mois encore, élever des enfants enfantins au milieu d’un jardin avec leur mère. J’étais bien en papa du quotidien. Je n’avais pas envie d’une jolie inconnue qui me sourirait. Je n’ai rien demandé. J’ai envie de prendre mes affaires et d’appeler les enfants, de leur dire que j’arrive ça va bien comme ça. Mais elle me retient et n’y comprend rien, me propose de m’apprivoiser comme si j’étais un vieux fauve, elle me propose du thé et me caresse la tête en souriant.

Puis plus tard à table, elle est presque nue et je regarde ses seins lourds au-dessus du plateau et du thé et du pain d’hier soir. Elle m’a eu et c’est très bien. Elle me dit de m’en remettre parce qu’il n’y a pas de choix. Elle me dit que ce sera bien. Puis elle s’assoit sur moi et me mord l’oreille. Il fait jour, c’est un jour de juin, c’est une fois par an et ça ne dure pas, c’est un jour le plus long, c’est comme la vie qui commence. J’aime les jours de juin, avec des souvenirs de femmes amoureuses dans la lumière du petit jour où l’on ne se promet rien.

Elle me dit de me taire et j’obéis. Il faudrait aussi arrêter de penser ou de se souvenir.

Elle me dit de me taire.