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La lumière rose du crépuscule

mardi 12 mai 2015, par Grosse Fatigue

J’ai couché les enfants et l’on a parlé politique. Le petit veut tout savoir de la gauche et de la droite. Puis le câlin de famille. Je suis dehors sous les hirondelles, dans cette lumière que j’affectionne, bien que, d’après l’Armée Française lorsqu’elle m’a réformé pour d’autres raisons, j’ai une mauvaise vision crépusculaire. Le ciel se teinte de rose sombre et la nuit est comme un immense pétale soyeux qui attendrait son heure. Des oiseaux chantent leurs histoires et les martinets font des piqués. Les voisins sont silencieux et l’air se rafraîchit. Je suis un soir de printemps, désolé Brel. Même si je suis, aussi parfois, un soir d’été.

J’aime la sensation crépusculaire, ce moment où il n’y a rien à faire qu’à le dire au monde, quand le vent s’est évanoui fatigué, que personne n’est là pour téléphoner, qu’elle ne râle plus car je n’ai pas fait la vaisselle.... Je suis pieds nus sur les lames de bois bien de chez nous, du douglas pas cher qui se fendille sous ma voûte plantaire, j’aimerais voir la Voie Lactée plus tard, si seulement une grande panne électrique m’y autorisait. Le noir complet, comme retour à notre passé préhistorique, antique, moyen-âge. Rien ne trouble la quiétude, pas même le camion du recyclage. Les voisins moins chanceux, de l’autre côté de la rue, grillent une clope en regardant le ciel à l’ouest, en regardant allez savoir, les arums qui viennent de fleurir, ou bien ces fleurs sauvages dont j’ignore le nom.

J’aime ignorer les noms. Ce n’est pas de l’inculture ni même de la paresse. Cela consiste en un vide qu’il faudra combler un jour, en achetant au hasard un joli livre d’occasion sur les plantes familières, dans ces foires aux livres où papillonnent des vieux poussiéreux, à la recherche de ce qu’ils n’auraient pas encore lu...

J’ai replié le parasol et laissé les assiettes des gamins pleines de poteries d’argile de traviole. Le lapin est rentré. Quelqu’un fait un feu au loin.
Je suis bien.

Le petit m’a demandé des photos de mon père pendant la Seconde Guerre Mondiale. J’ai ouvert la vieille enveloppe. Le voilà qui fume la pipe devant un palmier à Meknès, en 1941. Il est très fier. On a regardé "La chute" l’autre soir, et on a vu la charmante madame Goebels tuer ses six gamins. Mais il s’était endormi avant la fin. Le petit est très fier et moi aussi. J’ai écrit sur l’enveloppe, "Photos de ton grand-père pendant la Seconde Guerre Mondiale". Une manière de lui donner du Jean Moulin.

Voilà la nuit, incomplète et sans nuage. Le bleu du ciel s’assombrit et des animaux se glissent au loin, de ces animaux nocturnes que l’on ne croise qu’à leur mort. J’aimerais en être.