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Le vieux derrière la fenêtre

samedi 9 mai 2015, par Grosse Fatigue

Devant l’église, à la sortie de la cérémonie funèbre de l’enterrement du père de l’un de mes amis chers, il y a, au premier étage, derrière le rideau d’une cuisine dont je crois reconnaître l’ancien modèle de chaudière murale, un vieil homme. Dans le Limousin, tout paraît vieux. C’est un avantage en campagne. J’attends par beau temps de croiser les réfugiés nord-sud de la débâcle et de l’exode. Sous la pluie, il paraît que le vieux Poulidor va chercher son pain à vélo. J’ai aussi visité Limoges, avec cette impression étrange d’être à Varsovie en 1939 ou à Bratislava en 1970. Ou peut-être entre les deux. Dans les villes, tout ce qui paraît vieux est aussi humain. Et l’homme derrière sa fenêtre nous contemple d’en-haut. Je suis assez triste. Mon ami a écrit un beau texte sur son père, et j’ai regardé le vitrail à ma droite. Je suis un peu fleur-bleue. Etait-ce l’évocation de la 403 et des vacances, ou bien l’amour du travail bien fait de l’émigré italien dans les années cinquante à Paris, ou encore cette transmission du goût du dessin, des plans, et de la table inclinée qui va avec ? Ou bien étais-je en train de penser à moi, à mon père que je n’ai pas salué quand il est mort, laissant une laïque, comme ils disent et faute de prêtre, nous inonder de son charabia et de ses bondieuseries, alors que l’artisan méritait mieux. Mais j’étais trop jeune et n’étais pas père. Je pensais aussi à mes mômes. Que diront-ils le lendemain de ma mort, et où ira-t-on boire le champagne pour fêter dignement mon départ ? Oui, j’ai dit à la petite que je voulais que l’on rit et que l’on chante, et qu’on en profite pour boire, que l’on s’en donne à cœur-joie. Rien de pire qu’une religion pour vous assommer une seconde fois. Il faut fêter dignement la mort en se tordant, en dansant, en musique, conjurant le sort.

Le vieux derrière le rideau nous observe comme à chaque fois qu’on en célèbre un autre. J’ai connu cela lors des enterrements précédents. Il y a toujours des inconnus, des grenouilles de bénitiers et quelques baveuses, un ou deux mâles survivants à supplier le petit Jésus de leur en donner encore un peu, le tout se morfondant en découvrant la vie passée de l’inconnu dans la boîte en sapin. Peut-être préparent-ils là sous la forme d’une répétition continue leur prochain sort.... Il s’agira d’être propre et en forme pour aller vers le néant, l’insondable, et oublier ses petits péchés.

Je ne sais pas pourquoi mais j’imagine que le vieux qui n’a rien d’autre à faire - pas même à descendre acheter des fraises au marché avant de les sucrer vaillamment - est satisfait à chaque cérémonie de voir qu’il est toujours là-haut et que c’est un autre qui est en bas. J’y vois une méchanceté commune et standard chez les gens qui en regardent d’autres alors qu’il y a mieux à faire.

Les dénoncer méchamment. Profiter de l’air du temps. Sécher quelques larmes. Savourer le printemps.