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De quoi s’est-on nourri ?
vendredi 7 août 2015, par
Je me posais la question à la fin du film. "My old lady". Je pensais à une farce. Au "Viager". Et puis la farce tourne à l’amertume. Alors je me suis posé la question, en rentrant chez moi. Je sifflais du Jonasz dans l’air frais du soir. Du haut du pont, j’ai regardé si ma pute et mon clodo étaient toujours en bas, attendant l’avenir. De quoi m’a-t-on nourri, moi qui ne suis pas capable d’aller plus loin. Pourquoi ne suis-je pas plus riche de l’intérieur, pour écrire plus longuement, sur la vie des autres, celle justement, qui nous intéresse tous ? Quels ingrédients manquent ? Le courage, sans doute. Peut-être rien d’autre. Le courage. Voilà ce qu’il m’aurait fallu.
J’ai écrit cela en mai.
Je n’ai pas eu le courage d’aller plus loin. C’est dire.
Et dire, c’est déjà ça.
Il y a longtemps que je n’ai pas croisé ma pute et mon clodo. Le clodo est parti en vacances. C’est sans doute un aoûtien. La pute est morte dans un fossé, des Africaines sans papier finissent parfois comme ça. En roulant à vélo aujourd’hui, j’ai senti une odeur de charogne terrible, vent d’ouest. L’herbe était grillée et les ronces rampaient comme des serpents heureux qui lui sonneraient sur la tête.
Des amis sont passés avec leurs enfants. Quand je pense que ces enfants sont nés parce que j’ai écrit mon ennui au bureau en découvrant internet et que leurs parents se sont connus parce qu’ils étaient mes lecteurs. Les gamins m’ont demandé ce que je faisais dans la vie. Les parents ont répondu que j’étais prof de clown. Oui, prof de clown. C’est pour ça que les enfants m’ont posé des questions, sur comment je fais bouger mes oreilles ou mes biceps et pourquoi je trouve des bonbons dans leurs narines ou des ballons gonflables dans leurs oreilles. Et quand on a croisé un dentiste chauve dans la rue piétonne, le plus grand m’a demandé ce que mon ami faisait dans la vie. J’ai répondu : "Ben, il est chauve, donc il est dentiste !"
Les chauves sont dentistes ?
Ben oui !
Tous ?
La plupart. Les autres sont hommes politiques. Voire les deux.
Mais pourquoi ?
Parce que les chauves sourient. Et qui dit qu’ils sourient, dit "sourire", et là, forcément, il veulent améliorer le sort de ceux qui ne sourient pas. D’où l’idée d’être dentiste.
C’est bizarre ce que tu dis quand même."
Pas sûr d’avoir convaincu le plus grand. Mais j’espère que dans trente ans, en demandant à ses parents qui c’était déjà le type que l’on est allé voir avec le grand jardin et la belle maison où y’avait plus d’enfants et qui nous faisait rigoler en disant n’importe quoi ? Il m’avait fait croire que les chauves étaient dentistes, et ça m’avait marqué qu’un adulte puisse dire n’importe quoi à un enfant, un adulte pas sérieux. Hein, c’était qui déjà ? C’était bizarre de dire ça à un enfant, quand même !
Voilà. J’espère avoir laissé un grain, un grain dont on s’est nourri.
Rien de plus. Avoir un grain, même minuscule, et le donner aux enfants.
David Gilmour et Jeff Beck. C’est bien aussi.