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Changer tout
mercredi 6 mai 2015, par
Laurent m’a appelé aujourd’hui. C’est un ami du lycée. Il était beau et flamboyant, il roulait en Fantic, j’étais vraiment jaloux, mais il était sincère et enthousiaste. Il était sportif. Avec Thierry, il m’a encouragé pendant l’épreuve de sport au bac. En me doublant sur la piste, allez Grosse, courage ! Je me prenais pour un intellectuel, je courais à la vitesse des tortues, me croyant Voltaire et le confondant avec La Fontaine. J’étais un con prétentieux et seul. Les filles adoraient Laurent. Certaines venaient me parler juste pour le rencontrer. C’était vraiment trop injuste.
Puis nous sommes partis faire des études un peu plus loin que chez nous. Lui en psycho, moi en socio. Les filles s’intéressaient à moi aussi, c’était un miracle : je n’avais pas encore de réputation. Laurent était flamboyant, c’était un type que j’aimais bien. Comme tout le monde, il me trouvait sans doute barbant, critique et arrogant, prétentieux et asocial. Mais moi, je l’aimais bien.
Je suis resté fidèle. Laurent m’a appelé aujourd’hui. Je lui ai expliqué que nous étions dans le même sac, le sac bien pourri où s’entassent les gens qui se sont trompés de vie. La mère de ses enfants l’a largué en appelant les flics. Il ne ferait pas de mal à une mouche. Il en a chié. Avant que moi aussi, je le regardais et ça me faisait de la peine. Il n’était plus flamboyant mais gardait cette vitalité humaniste, ce rapport aux autres et son enthousiasme. C’est un type bien. C’est tout.
Il m’appelle et je lui explique les saloperies du naufrage, tout en me disant qu’après tout, ce n’est pas la mer, ce n’est pas Lampedusa, tant qu’il y a de la vie, ne t’apitoie pas. Même mes mômes s’en sortiront.
Il m’écoute et je lui dis à toi. Lui, il a connu tout ça. Les nanas, les emmerdes, Aznavour et Jonasz. Nous rêvions de musiques et de concerts. En terminale, nous avions fondé un groupe. Mais personne ne savait jouer de quoi que ce soit. Depuis lors, nous avons insisté, en vain.
Il m’écoute et me dit voilà : j’aimerais bien changer de vie. Mais mon dossier a été refusé, et j’en ai marre d’être instituteur. Je vois l’heure à l’horloge et je ferais bien autre chose.
J’étais en train de repeindre la cuisine pour y mettre mon odeur. Je ne savais pas quoi dire. J’ai joué au loto la semaine dernière. L’impuissance nous envahit aussi. Qu’avons-nous fait qu’il ne fallait pas faire ? Que fallait-il faire d’autre ?
Avoir de l’ambition, de la chance, quoi ? Travailler plus.
Ne t’apitoie pas.
Evite tout cela aux enfants. Donne-leur la force. Et nous retournerons crier à Paris dans un cinoche miteux, au milieu des restos grecs et des gens qui vomissent des pizzas avariés, nous irons voir le Rocky Horror Picture Show.
We are the champions, my friend.