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Modifier la perception du temps

dimanche 29 mars 2015, par Grosse Fatigue

A l’origine il n’y avait pas le temps. Avant le Big-Bang, il n’y avait pas le temps. Il n’y avait rien. Je sais petit c’est dur à comprendre. Mais papa, rien, c’est impossible. Oui. Sauf si l’on considère que rien, c’est rien, que nous ne sommes pas encore là, qu’il n’y a pas de lumière ni même de temps te dis-je ! Rien du tout. C’est avant même l’existence. Avant d’exister petit, tu n’existais pas. Tu viens du rien. Le monde entier a été précédé de cela. Il n’y a pas plus quelque chose après la mort que rien avant la vie. C’est comme ça et c’est très bien.

Papa, je trouve que c’est pas bien : ça laisse peu d’espoir.

L’espoir, c’est ici et maintenant petit, rien d’autre.

Voilà où me mènent les conversations avec les enfants dans la cuisine quand ils me voient dans le contre-jour printanier d’un ciel lourd de nuages et sans promesse exagérée. La semaine sera pluvieuse, c’est ainsi. Je n’ai pas de petits cailloux pour les semaines à venir. Je ne veux rien subir, redresser la tête et voir mes enfants. C’est sans doute ce que se disent toutes les lucidités du monde quand il s’agit - au final - de survivre à la catastrophe de nos promesses non-tenues.

Papa ! me dit la plus grande : c’est la fin, oui, mais c’est aussi le commencement ! Ah, la plus grande, c’est tout moi. Fainéante comme pas une, mais ça tourne bien la-dedans quand il s’agit de comprendre l’empathie qui n’est pas de son âge. Oui, ça tourne bien la page.

La plus petite me demande pourquoi j’écris souvent seul dans la cuisine. Je ne peux pas lui répondre parce que je me demande pourquoi ta mère peut me préférer un con. Ni même pourquoi elle a été capable de tout laisser ici, ce qui était notre projet de maison et de famille il y a trois ans encore, laisser son piano et les couleurs de la cuisine, les meubles qu’elle avait choisis, laisser les enfants une semaine sur deux, abandonner ce que je n’aurais pas pu moi-même abandonner. Je ne dis rien de plus, je ne rumine même pas, c’est trop mauvais pour la santé alors j’écris. Mais pourquoi papa ?

Petite, j’écris parce que soudainement, à cent mots minute papillon, le temps s’accélère. Il est déjà six heures vingt de l’heure d’été, cette heure prometteuse où l’on désire s’engouffrer quand on est enfant, et que l’on aimerait tant retenir dans ce toboggan dont on devine déjà l’automne. Je ne voudrais pas être optimiste (je suis de gauche merde), mais il faut quand même que je considère que l’accélération de la soirée ne puisse qu’être bénéfique à mon état mental. Car voilà : j’imagine que lundi matin, quatre-vingt une personnes - mes amis notoires - vont lire ce texte en buvant un mauvais café. Je les vois donnant sur le port à Marseille, avec les montagnes pour horizon à Pau, l’océan à Biarritz, les vieux sur la promenade des Anglais, ou bien ces bureaux tristes de Paris La Défense où je constitue - oui, j’admets prétentieusement - la petite lucarne, la petite bouffée d’air comme matière à réfléchir avant d’y retourner. Retourner la situation, croire encore. C’est en tout cas ce que me disent mes statistiques de mauvaise fréquentation (je pense à Patrick Dewaere, comprenez-moi), le lieu où l’on s’ennuie le plus au monde, c’est Paris La Défense. Avec un nom comme cela, ça n’est pas étonnant.

Papa, t’es grave quand même !

Tu verras petite, si tu n’échappes pas à cela, si tu ne chantes pas dans les rues en jouant de la musique, si tu dois aller au bureau parce qu’il s’agit d’être sérieux et de manger sa croûte tous les jours, tu verras, tout recommencera. Tu verras. Tu verras.