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9000 Km

vendredi 27 mars 2015, par Grosse Fatigue

L’année dernière, j’ai pédalé pendant presque 9000 kilomètres et j’étais ravi d’être le plus fort de mon club et les gars me disait "Fatigue, t’es costaud, ah couillon, ce que t’es costaud ! Tu portes mal ton nom ! " et figurez-vous que j’étais content d’être costaud, j’étais enfin quelqu’un, quelqu’un pour d’autres, du tangible, du vrai, du premier de la classe. J’étais content de gagner au sprint et de fatiguer tout le monde dans les côtes. Sur le plat, j’avais plus de mal, mais ça allait quand même. Neuf mille kilomètres à tourner en rond, pendant que la femme de ma vie - dialectique oblige - s’occupait d’elle avec un autre. J’étais enfin quelqu’un pour moi, avec des cuisses et presque pas gras, un costaud, un fort, qui ramenait les amis dans le vent des plaines, qui luttait contre l’âge, j’étais en fuite.

J’ai compris maintenant, marathonien, trail, triathlète, cycliste au long cours. J’ai compris les amis, les garçons les filles, j’ai compris voyez-vous. Je sais bien que tout cela est faux. Aucun magazine sportif n’en parlera jamais. Pas d’article, l’omerta. Pierre Péan n’est pas au courant. Nos motivations étranges et nos motivations cachées.

Mais j’ai des témoins et des témoignages sur les sports d’endurance passé l’âge. Que croyez-vous qu’il advint ? Pourquoi courir les marathons comme si l’on n’avait pas passé l’âge ? Les excuses en guise de santé ou de forme, c’est aussi bidon qu’un Souchon en 45 tours de piste.

Je n’ai pas touché mon vélo depuis trois mois. J’hésite encore à l’enfourcher. Anti-dépresseurs et somnifères, le corps est à la dérive, j’essaye de l’empêcher encore de croire à autre chose. Il faut chasser tout espoir et ne jamais oublier que, lui et moi, nous ne sommes pas catholiques : nous ne faisons qu’un. Corps et esprit, tout est soudé. Un truc de sportif. Il faut maintenant se l’avouer. Passez le mot aux gens de vos amis qui, comme moi, font l’éloge de la fuite. Ceux qui parcourent des bornes et des bornes, ces bornés de l’effort, ces fous de la distance, de la douleur. Faites-les avouer. Procureurs de l’effort, avocats de la défense : sachez que si l’on fait tout cela, c’est parce que l’on sait que l’on est seul. Qu’il n’y a plus d’amour. Je peux compter mes kilomètres en fonction de la distance qui l’éloignait de moi. J’ai roulé jusqu’à l’usure finale. Elle ne m’aimait plus depuis tant de temps, je n’avais plus prise, je n’étais plus intéressant. J’avais beau faire de mon mieux, la vaisselle et le jardin, lui raconter des histoires et lui montrer mes photos, parler d’idéologie et de 2017. J’avais beau faire le beau je vieillissais et je ne sentais plus le neuf. Elle n’était pas du genre à chiner. Un jour précis je crois, sans doute un jour spécifique, un jour de pluie allez savoir, en elle, quelque chose s’est arrêté. Et je suis parti rouler en espérant qu’elle me désire à nouveau. Je n’ai plus fait aucune promesse.

Que ceux qui courent le sachent.