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Du pragmatisme

mercredi 25 mars 2015, par Grosse Fatigue

Je résume la situation qui m’obsède depuis trois mois : voilà, nous divorçons. Difficile de conjuguer le verbe au présent. Il me semble que divorcer, c’est toujours au passé, au passif, à l’imparfait. Il n’y a pas de présent dans le divorce. Et puis la voilà installée chez un autre. Chacun a pris ses marques, les amis leurs distances, et les survivants ont peur que cela leur arrive puisque cela était si imprévisible dans notre cas. Je veux dire dans le mien, puisqu’il n’y a plus de nous, comme il n’y a plus d’après. Il faut se faire à la réalité, ce qui correspond mal à ma personnalité.

Il y a l’ami pragmatique. C’est son ami à elle avant tout. Ah oui, dans un divorce, combien de divisions ? Il y a la grande qui nous détruit, puis les cohortes d’amis qui nous soutiennent ou nous trahissent. Même si l’époque est à la fin du jugement. Il faudra que j’en parle. La neutralité est de mise. C’est un signe.

Il y a l’ami pragmatique. De ceux qui donnent des conseils et des analyses. Oui, c’est forcément un peu de ma faute, j’ai forcément des torts. Chacun doit se poser la question. Peu importe. Ce qui me triture ici, c’est l’idée même du pragmatisme : se rendre à l’évidence. Non seulement l’idée de me rendre me rappelle trop mon souci des Indiens de l’enfance, Peter Pan, et qu’il était hors de question de se rendre, mais il y a aussi le souci de l’évidence. Quelle évidence ? Est-ce un synonyme de ce que nous subissons ? J’ai coupé les ponts avec l’ami pragmatique : je suis de gauche. Je sais, c’est suranné. Mais qu’importe. J’en ai marre du pragmatisme, c’est une machine à créer des angles droits. Ça sent la zone commerciale, le confort, le pratique, cette indécence qui détruit la beauté du hasard à coups de GPS. A coups sûrs. Se rendre à l’évidence, moi ? Jamais. Non, je ne me rends pas à l’évidence. Je sais que ne voir ses enfants qu’une semaine sur deux est une idée libérale dans laquelle les libertaires se fourvoient. Les enfants aiment avoir un papa et une maman, c’est d’ailleurs pour cela que l’on en fait. Le divorce sert le marché de l’immobilier. Anarchiste, évite les enfants, vis ta vie seul et sans eux, assume ton choix et je t’embrasse. Le reste est un gros mensonge. Il n’y a pas de famille bourgeoise ni d’excuse qui tienne. Il n’y a aucune raison de faire souffrir l’enfance, même si l’on veut en finir si rapidement avec elle. La frontière est ténue, et parler de responsabilité est devenu comme une injure. La liberté des égoïsmes prend le pas sur l’enfance. Oui, j’en ai gros sur la patate. Mes enfants vont subir un réac absolu pendant le reste de leur enfance, mon contraire exactement, ce qui est inexplicable, du moins quand on n’est pas pragmatique. Et dans un monde sans mystère, celui-là subsiste. Pourquoi avoir aimé un type comme moi et fondre pour son contraire ? Des millions d’autres se posent sans doute la question. Deux amis m’ont dit : elle ne te mérite pas. Je leur accorde. Il faut conserver une image saine de soi-même, ça sert de coup de pied au cul, même s’il faut dans ce cas avoir la souplesse d’un Molinier, ce qui est très loin d’être mon cas.

Non, je ne suis pas pragmatique. J’aimerais qu’elle revienne et qu’elle me trouve avec deux jeunes femmes lubriques et bronzées, dans le lit dont elle m’a reproché de n’avoir jamais participé au changement des draps. Il est vrai que dans ce cas, les draps auraient besoin d’être changés, surtout quand, je te le promets Joséphine, Sylvie, Paulette, Simone et qui que tu sois si tu as entre trente et quarante ans (je suis optimiste), ou entre 40 et 49 (je parle en chiffres, me voilà pragmatique et comptable), oui je te le promets, nous aspergerons le monde entier de mes dernières prétentions à la fonte des neiges et de la calotte polaire qui m’écrabouille depuis qu’elle me croit minable. Je ne ferais d’affront à personne en racontant que je me suis trompé sur elle, car c’est elle qui.

Quant à toi, l’ami pragmatique, l’homme qui détruit le monde en croyant créer de la valeur (oui, c’est ainsi dans le top five du classement de l’Expansion, comme cette mousse plastique que l’on coule dans les interstices), toi, l’ami pragmatique, je n’ai qu’un conseil : regarde ta femme tant qu’il est encore temps. Au mieux, tu la verras vieillir, au pire, il faudra renouer avec un peu de rêve. En auras-tu le courage ?