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We need entertainment

mercredi 22 avril 2015, par Grosse Fatigue

On veut du fun. C’était donc cela. Les étudiants du dernier rang supportent mal ma propension à leur demander de lire des livres. Je n’ai pas vu à quel point j’ai vieilli en vingt ans. Comme diraient les libéraux, le temps des opportunités est terminé. Il faudrait que j’en fasse un livre. Mais il faudra d’abord arrêter les cachets qui m’empêchent la mort de pousser en moi. Il faudrait se reprendre. Je ne leur montre pas à quel point tout cela n’a pas d’effet sur moi. Me voilà comme la plupart des profs : dépressif mais pour d’autres raisons.

Les étudiants du fond me font comprendre à quel point l’enseignement est inutile. Pensez-donc. Facile à dire. Toute cette puissance de calcul pour de l’entertainment. Il faut leur raconter des histoires et leur fournir un Powerpoint™. Au bout de dix minutes, les yeux sont éteints et rivés sur un écran minuscule ou trop grand. Je parle seul mais je ne suis pas seul. Je cherche des enseignants joyeux : game over. En terminale B il y a trente ans, on m’avait promis que le secteur bancaire serait la nouvelle sidérurgie : mort sous peu. L’enseignement l’a remplacé avantageusement. C’est la fin. Bien sûr, je n’ai pas la chance (ma faute), d’enseigner en prépa, ce dernier bastion, ce ghetto classe où les agrégés tentent de se reproduire entre eux, garantissant à la sélection le label rouge qui convient. Joëlle, je t’envie. Tu avais raison : je suis vraiment complètement nul. De toutes parts on voudrait me remotiver. A quoi bon ?

Il faut faire le show. Le reste est sans importance. Proposer un tableau blanc et des feutres, c’est se tirer une balle dans le pied.

Mais j’avoue. Moi aussi, je me suis emmerdé sec en cours. Mais emmerdé comme ça n’est pas possible. J’entendais le ronronnement lointain du type sur l’estrade. A vrai dire voilà : seuls les fous et les folles me maintenaient en alerte. Un prof sur dix. Le cinglé incarné. Celui ou celle qui faisait corps. Alors j’essaye de faire le dingue, le désaxé, le pétage de plombs. Ah, ça leur plaît cinq minutes mais ils ont peur du second degré. Je vais finir comme ces profs de philo qui disent blanc mais dont les élèves ont compris noir parce que Desproges est mort il y a longtemps et qui finissent en garde à vue. A l’ombre.

We need entertainment. Oui, j’ai connu cela aussi. Je n’ai pas le privilège d’enseigner à de bons élèves, il aurait fallu pour cela faire des efforts et avoir de l’ambition et ne pas courir après tant de papillons, de lièvres ou d’autres végétaux dans les bois. We need entertainment. Et seuls quelquefois des Mexicains ou une Turque viennent me remercier de leur avoir fait découvrir un livre d’un auteur français en anglais. Je pleure alors en silence, en écoutant un collègue faire l’apologie de la vidéo de deux heures qu’il diffuse via Youtube pendant les cours, et qui maintiennent chacun à sa place. Les endormis s’endorment, les autres se vautrent, les absents sont loin, et le voilà satisfait ce brave collègue. Le gendre parfait.

Le pire, c’est qu’une formatrice anglo-saxonne nous a expliqué qu’il fallait être fun. Après tout, nos étudiants n’ont pas tort : IL FAUT SE REMETTRE EN CAUSE. C’est important de se remettre en cause, d’être à la mode, dans le vent, d’aller de l’avant. Faire table rase, tout ça, être à la page, voilà. Du contenant, peu de contenu. On m’a dit : une idée par slide. Une idée !

Mais laquelle ?