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Ils seront seuls

mercredi 21 janvier 2015, par Grosse Fatigue

Je ne sais plus quand cela m’est venu. Je crois avoir vu une fille remonter l’escalier en fer un téléphone à la main dans un centre commercial. Je ne sais plus ce que j’y faisais. Puis j’ai à nouveau regardé les gens. Les couples me fascinent en ce moment. J’en ai appris de si belles sur l’impuissance. Des couples d’amis viennent m’apporter du soutien. Chacun y va de sa confidence. Entrez dans la danse les amis nous sommes dans le même bateau. Moi aussi il y a quelques années elle m’a trompé. Je ne le sais pas, elle ne me l’a jamais dit. Confidences pour confidences, chacun défile son péché à la main, sans savoir. Moi je sais par la bande, de travers. Mais on ne dit plus "trompé". On ne dit pas non plus "adultère", ça fait pépère années cinquante et baise-en-ville. Je ne sais pas ce que l’on dit. Une amie me précise que c’est sans doute la conception du couple qui est à revoir. Dans l’ombre se profile Catherine Millet et son double de jalousie. Très peu pour moi. Amis célibataires, baisez où vous voulez et autant que possible. Mais il reste les enfants, je veux dire l’enfance, et je crois - quel ringard ! - que le principe de responsabilité s’impose dès que l’un d’eux, allez, disons le deuxième, arrive au monde. Non pas que l’on ne puisse aller voir ailleurs si l’épilation est plus verte. Mais il s’agirait de ne pas tomber amoureux, de ne pas se faire croire à des miracles. Un ami notaire - ce régleur de contentieux, joli mot qui nous ferait croire que les coffre-forts suisses vivent en altitude - un ami notaire me disait que les couples de divorcés ne sont guère plus heureux après. Ils veulent juste croire un instant que la vie réelle se fera en avion et non plus entre la télé, les gamins et les corvées quotidiennes. J’essaye d’imaginer les gens qui vivent en avion et me souvient de ma prof d’anglais, de son mari pilote et de ses quatre enfants. Le premier gros naufrage dans mes souvenirs.
J’en ai profité pour dire à ma bite de se taire à tout jamais. C’est assez efficace. De même que je n’achète plus de journaux, me nourris de restes et ne regarde les filles qu’à la manière de monuments historiques ou de plans d’architectes. Je crois être trop vieux pour renaître.

Et je regarde encore les gens. Surtout les jeunes maintenant qu’ils m’appellent monsieur sans comprendre que je suis né de Cabu et de Raymond Boudon, de Wolinski et de Choron, de Balandier et de Reiser, un bordel intense où traînaient pêle-mêle Marx, Adam Smith, John Steinbeck et tant d’autres. Dans ma culture de gruyère, les trous faisaient la fantaisie. Je regarde les gens. Ils s’envoient des signes de loin en loin. Un comptable en cravate était content de croire que le TGV ne s’arrêtaient pas au milieu du trou-du-cul du monde. Je regarde les gens et je sais maintenant, bien plus qu’avant, plus sûrement, plus profondément : la solitude.