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Comme être seul
mercredi 14 janvier 2015, par
Depuis que j’avais une famille, un jardin et une mère formidable pour mes enfants, je voyais les malheurs du monde comme le malheur des autres. J’avoue que ma compréhension, mon empathie pour la douleur avait ses limites. Il s’agissait, en bon occidental un peu repus, de ne pas être trop contaminé.
Je croise aujourd’hui des tas de gens comme je fus autrefois. Des gens qui semblent heureux, des couples ou des célibataires, des gens qui marchent droit et ont un travail, pour lesquels une partie du monde s’est écroulée quelque part parce que quelqu’un l’a dit, que ce soit au Nigéria ou chez Charlie, mais ces gens-là sont comme j’étais : ils ne sont pas si concernés par le malheur des guerres diffuses, car elles sont diffusées, lointaines. Bien entendu, on se rassemble et l’on écoute les hommages. J’ai moi-même vu un ancien d’extrême-droite rendre hommage à Charlie lors d’une minute de silence où des filles envoyaient des textos. Dans ma province, j’ai vu peu de jeunes manifester, comme si Charlie était une affaire de vieux.
Autrefois j’étais comme cela. Concerné intellectuellement, lisant les journaux, le Canard, parfois Charlie. Je dis parfois Charlie car je ne l’ai plus acheté au milieu du règne de Val, qui disait n’importe quoi. Je n’ai pas vraiment repris depuis.
Aujourd’hui je suis seul. Profondément seul, malgré les soutiens des amis dans la débâcle du couple qui m’attend, bien qu’elle soit encore là, pas encore partie, pour des raisons que je ne comprends pas. Là physiquement mais le cœur ailleurs, se peut-il que la raison l’emporte un jour ? Voilà la question universelle. Et pourtant, je voudrais que le cœur gagne ma petite bataille à moi, et puis celles des autres aussi. Arrêter les guerres, s’aimer, ces choses si simples mais j’entends déjà les gens me dire qu’ils ne nous jugent pas. Car voilà : on ne juge plus. Le jugement moral est passé de mode, il est même déconseillé. Il ne faut plus juger. Tout est permis, tout est normal. Non pas que je ne pense pas qu’il faille passer l’éponge. Au contraire, passons-la ensemble. Mais juger ceux qui font mal, leur répéter un peu, ce ne serait pas si mal.
Du moins pour se sentir moins seul.