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Votre moteur est allumé.2 : ils sont là, ce sont nos ennemis.

dimanche 7 décembre 2014, par Grosse Fatigue

Il y a des siècles, je pestais déjà contre les crétins qui laissent leurs moteurs allumés l’été pour la climatisation l’hiver contre le froid, tout le temps quand leurs bagnoles sont à l’arrêt. J’ai longtemps pensé qu’en tant qu’humain il était possible de leur dire qu’il suffisait d’éteindre les moteurs à l’arrêt pour consommer moins et, par-là même, économiser un peu du peu d’argent qui manque déjà à la classe moyenne. Je me lance encore maintenant dans des tirades simples face à ces innocents. Je l’ai fait l’autre jour sur le parking de la banque où une dodue en Citroën, vingt-cinq ans la vie devant soi mais pas EN elle, ne voulait pas comprendre pourquoi il fallait éteindre son moteur.

Kleptomanes de tous les pays : attendez devant la boulangerie ! Clés sur le contact, bébé à l’arrière, assurance et papiers dans la boîte à gants, le plein est fait pour peu que l’on soit dimanche.

Justement, ce matin encore, c’était dimanche. Les filles sont allées faire un cross en forêt. D’autres familles ont emmené leurs enfants faire de même, ce qui les éloigne d’une probabilité de la délinquance et les sort de la monotonie de la classe moyenne le dimanche matin depuis les débuts de la déchristianisation : non, plus aucune fille ne s’appelle Christiane, plus de Christian non plus, pas de Christophe. Des Kévin et des Steve, vous savez bien et pourtant, c’est pas la Belgique par ici.

En revenant à la voiture - gros diesel sept places japonaise d’occasion - nous dépassons la famille française 2014 - gros diesel sept places française neuve à crédit toutes options - portes ouvertes par six degrés celsius (un truc que les Américains ne nous ont pas pris), et..... Et quoi ? Hein ? Des sandwichs plein les mains ? Oui. Mais encore ?

Je vous le donne en mille : la famille de la classe moyenne qui emmène ses enfants courir le dimanche matin en forêt est bien notre pire ennemi. Oui, Notre-dame-des-landes, oui, les hypermarchés, oui, les zones pavillonnaires, oui, les plats cuisinés, oui, l’école privée dès la maternelle, oui l’espagnol première langue en sixième, oui, une console vidéo par enfant, oui, une télé dans chaque pièce, oui, le chauffage électrique, oui, Télé7jours, oui, des vacances en camping, oui, tout ça et pire, oui, Ikéa au mieux, But au pire, mais j’exagère, c’est pareil. Oui, la famille de la classe moyenne, cette putain de classe artificielle qui me fait me rapprocher de Raymond Aron dans ce qu’en dit Paul Veyne dans son livre de mémoires (j’ai perdu la page) à propos des bourgeois qui élèvent bien leurs enfants, oui, voilà cette famille dans son Peugeot 806, voilà : leur moteur est allumé.

Or ! Or ! Or : il fait froid, les portes sont ouvertes pour de bon et pas par hasard, la radio est éteinte, et le moteur tourne donc, vroum proum broum. Je deviens fou. Je crois que je le suis depuis si longtemps déjà mais c’est parce que, encore une fois, j’imagine que l’on peut parler aux gens et que, même hein, même ! C’est fait pour ça ! Pas les gens : la parole. La parole est faite pour que l’on puisse se convaincre soi et les autres (rayez l’expression illusoire). Alors que les gens ne servent à rien pour ma parole et mes mots, on ne convainc pas les chiens de faire des chats et vice-versa. J’ai beau leur dire que leur moteur est allumé, que ça pollue, que c’est dimanche et qu’on est en forêt, la mère maquillée me regarde sans mot dire, ce n’est pas qu’elle a peur, c’est qu’elle t’emmerde, c’est sa putain de liberté vous savez bien : la liberté est une valeur de masse comme il y eut, je crois, une production de masse. En aucun cas elle ne me demande pourquoi je lui parle ou même pour qui je me prends parce que là, vous comprenez, il y aurait à dire ! Je me prends pour un éco-lo-giste un terroriste de l’opinion ! Un type qui voudrait voir plus d’oiseaux et moins de bagnoles ! Un type qui préfère ces saloperies de limaces qui lui bouffent la moitié de son potager plutôt que sa voisine à moitié morte bien que vivante à crédit comme sa bagnole balançant du désherbant dans la ruelle qui - heureusement - nous sépare ! Tu pourrais en dire des choses !

Mais rien. Elle me regarde amusée comme on regarde les fous. J’ai compris alors qu’effectivement, j’étais de l’autre côté d’un miroir évident. Mon fils est venu me rechercher : Papa, laisse tomber c’est des beaufs.

Comme nous étions tous les cinq de l’autre côté du miroir et que, même à six ans, le plus petit comprenait qu’il fallait avoir complètement tort pour bouffer des sandwichs dans une bagnole diesel au moteur allumé en plein hiver à l’arrêt fenêtres ouvertes, j’ai compris mais ça fait mal, que, non seulement j’étais seul au monde avec mes gamins à comprendre la plus petite logique la plus simple et la plus évidente, mais, qu’en plus, les gens normaux, comme dans la chanson des méchants de Michel Fugain, c’était eux : les autres. ILS ONT RAISON CE SONT EUX NOS ENNEMIS !

Mais papa, à qui tu parles ? Ce sont TES ennemis ! Oui, ils détruisent la terre, oui, ils aiment la guerre à distance, la télé, les trucs en plastique, le confort et la nouveauté, mais, papa, tu n’y peux rien : tu es tout seul ils sont normaux et pas toi, il sont logiques et pas toi, ils ont du soutien et pas toi, les Canadiens détruisent le Canada pour leur fournir du carburant car ils veulent continuer à jouir médiocrement de leur confort en faisant tourner des moteurs diesel subventionnés à la production par l’Etat Français tu sais bien, celui dont il n’y a plus rien à attendre ! Nancy Huston en parlait à la radio hier tu sais bien, elle criait Huston ! Ici la terre ! Papa, tu te souviens ?

Il n’y a plus rien à attendre ! Il n’y a plus à attendre. Le combat est terminé. Je sais que nous allons vers le pire. Je m’excuse auprès des enfants sur le trajet du retour. Je suis désolé qu’ils aient à supporter les gens et la fin du monde qui vient. J’interdis au petit de parler à jamais de Disneyland™ sauf si c’est pour y foutre une putain de grosse bombe !

A la maison j’étais en sueur, de cette colère vitale, corporelle, profonde, de celle du convaincu : mais, j’ai raison ? C’était pourtant simple d’éteindre le contact et de se congratuler ? L’ai-je dit d’une certaine façon ? Mais ne lisent-ils pas la radio ? N’entendent-ils pas les journaux ? J’ai essayé d’être optimiste parce qu’eux aussi avaient des enfants qui couraient dans la forêt ! J’ai cru qu’ils allaient répondre de ne pas m’affoler, que nous étions liberté égalité fraternité, Voltaire Rousseau et tutti quanti, que ça s’arrangerait, qu’on pouvait partager un verre de pinard sur la Nationale 7 même, même si elle ne passe pas dans le département, que le département va disparaître aussi sûrement que la Nationale 7 d’ailleurs et que tout ce qui disparaît est un peu triste mais rien. Non, rien de rien.

Non, rien de rien. Non, rien de rien.

J’ai mis le contact et j’ai fait demi-tour en évitant le fossé. Je suis passé près d’EUX avec le même regard que David Vincent à la fin de chacun des quarante-deux épisodes des Envahisseurs™.

Que penser ?

Et puis le soir Lætitia a laissé un lien vers un quelconque connard et j’ai ri, oui, j’ai ri merci, j’ai oublié leur voiture. Ils sont si nombreux. Ça fait du bien de rire, d’oublier que le monde est plein d’eux et qu’il y a si peu de poulaillers.

Mais cinq minutes plus tard, j’y ai repensé et je suis retourné à mes plans d’épée-laser. D’ici vingt ou trente ans, ça marchera. J’irais voir la dame, je lui dirais d’éteindre son moteur et si elle ne comprend pas, si elle ne communique pas, si pire elle ne m’aime pas, je découperais sa bagnole, son mari, ses enfants, ses bras, ses jambes, je ferais un gros trou dans les champs, et je les collerai dedans un beau jour dans trente ans. Leur bagnole, je la donnerai à un damné de la terre, à un Rom, un Gitan, ou n’importe qui de ce moment-là, pour qu’il puisse aller planter des choux en prison, car c’est là que l’on pourra se retrouver nous autres.

- "Papa, y’a les messieurs dans l’ambulance dehors-là, ils voudraient que tu viennes. Ils ont sonné, t’as pas entendu.
- J’arrive les enfants. Je corrige juste les fautes. Mais j’arrive. J’ARRIVE.
- Papa dépêche-toi !
- Oui, ça va, j’arrive !
- Dépêche-toi ! Ils ont laissé le moteur allumé ! "