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Ressortir voir des gens

lundi 17 mai 2021, par Grosse Fatigue

Je comprends bien que les gens enfermés à Paris dans un placard à balais aient envie un jour d’aller prendre un verre en terrasse à Saint-Germain pour y croiser des regards et d’autres gens et voir fleurir le printemps humide qui nous unifie. Je comprends, c’est parce que nous sommes des animaux sociaux tellement soucieux les uns des autres, nous avons tant besoin de nous voir et de boire et de nous toucher, oui voilà.

C’est bientôt la fin du confinement, je ne sais plus trop bien lequel, je m’attends à un Brésilien ou un Indien à venir, entre Michel Fugain et Joe Dassin, je régresse à vue d’œil, merde, j’ai vraiment totalement raté ma vie et je n’ai plus envie de rien, je ne sais pas quel est le numéro de cette porte de sortie, peut-être devrais-je donner une date pour les cafetiers et les bistrots français oui voilà c’est ça : le mercredi dix-neuf mai de l’an deux mille vingt et un.

J’ai toujours en tête le parfum futuriste de l’an deux-mille. Je me souviens à quel point nous étions malades le soir du jour de l’an, je me vois encore tituber au bord de la Loire avant d’aller vomir quelque part, je me souviens de la gastro, cette bonne blague à relativiser le futur... Je me souviens vraiment bien de ces années où nous voyions des gens, plein de gens différents, et même des amis.

J’ai toujours le parfum futuriste d’il y a vingt et un an. Je suis ravi que les bonnes femmes comme ma mère en prédiction de l’avenir aient toujours eu tort. Je n’ai jamais su ce qui nous arriverait à nous, à moi, j’avoue. Si l’on m’avait dit que le futur serait de mettre mes enfants sur des écrans minuscules frisant les cinq-mille francs, vous pensez bien, je n’y aurais pas cru.

Vingt et un an depuis l’an deux-mille, et nous voilà heureux de sortir de chez nous, confinés comme des rats pour s’éviter entre-nous, comme des rats.

Je ne suis pas bien sûr toutefois, d’avoir envie d’y retourner. Retrouver le train quotidien, la plupart des collègues dans l’abêtissante ambiance positive qu’il faudrait avoir de soi-même. Je ne suis pas bien certain non plus d’apprécier même la fête de la musique, la nullité de son absence de programme ou les nuisances des DJ. Non, je ne suis pas sûr.

Rester caché même au fond d’un jardin à prendre l’eau dans des chaussures à plus d’âge, ça n’était pas si mal, à quelques-uns, lapins cochons dingues, enfants et homo-sapiens du même acabit. Mais revoir les autres, leurs tatouages et cette manière de s’envoyer des textos l’un en-face de l’autre. Est-ce vraiment un monde ?
Et dois-je encore considérer qu’il serait nécessaire d’en faire partie ? J’écoutais Axel Kahn ce matin nous prédire qu’il allait bientôt partir - enfin non, juste mourir puisqu’il n’y voit rien de plus, ce qui me l’a rendu encore plus sympathique - donc mourir d’un cancer, comme tout le monde sauf les alcooliques de la route et leurs victimes. Il a embrassé sa jument et fait ses dernières recommandations. C’était plutôt beau de répondre à Léa Salomé qu’il n’y a rien après que le souvenir qu’elle aura de lui. C’est un peu comme sortir de notre long silence confiné plus ou moins sauf dans le supermarché du coin.

Y-a-t’il une vie après le confinement, des insectes dans les champs, quelque chose de sale qui ferait le sel de nos vies, des choses légères et passagères et surtout imprévues qui nous feraient plaisir, comme sortir du standard et du quotidien, quelque chose d’optimiste ?

Y-a-t’il encore quelqu’un de vrai ?