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Ce sera mieux quand j’aurais oublié.

samedi 6 février 2016, par Grosse Fatigue

Le petit n’est pas peu fier : il a des roues de seize pouces, comme un tom basse sur une batterie de jazz, même taille, mêmes pouces. On discute il s’exprime bien. Ce matin, il s’est défendu contre un gars de son équipe qu’arrêtait pas de le provoquer. Sa moyenne sœur croyait que j’allais intervenir, mais le petit se débrouille très bien tout seul. Et puis, il a mis pas mal de paniers. Et puis : il a gagné.
Là, il roule devant moi, on va vers l’aéroport subventionné pour rien. Il est content : la fenêtre de tir de la météo ne dure que de quatre à cinq heures.

On aura roulé une heure quarante-cinq : que les gens se rendent compte !

Il me parle du divorce, du divorce en général parce que ses copains proches - avec leurs noms américains - ont des parents qui divorcent. Il y en a chaque année et chaque année : ÇA M’ÉTONNE !

C’est peut-être un effet générationnel. Il ne faut pas le dire trop fort, mais je suis persuadé depuis longtemps que le divorce des parents fabrique une société de cons. Je dois être réactionnaire j’en ai peur. Oui, ça doit être ça.

Le petit me dit : ça fait déjà un an papa ?

Oui, ça fait déjà un an. Et j’ajoute : bientôt, tu auras totalement oublié la vie avant, quand on était ensemble, avec maman. Dans ma tête je me dis : "Et ça n’a servi à rien si l’on ne s’en souvient pas."

Le petit me répond : "Tant mieux. J’espère que je vais vite oublier quand vous étiez ensemble.

Et moi : Mais pourquoi ?

Il continue :
Parce que comme ça, j’aurais moins de peine. Si je me souviens pas comme on était heureux quand vous étiez ensemble, j’aurais plus envie de pleurer des fois."

Pédaler est devenu un peu plus dur, j’ai regardé au loin, les nuages arrivaient de l’ouest mais le vent était au sud, et moi-même un peu égaré.

Puis il m’a demandé :

"Tu crois qu’on peut divorcer élégamment ?"

Je me suis demandé si j’avais rêvé. J’ai dit : "Hein ?"

"Tu crois qu’on peut divorcer avec élégance, en étant gentil ? Parce que les parents de Lino, ils ont fait ça. Ils s’aimaient plus, alors ils ont divorcé et puis ils ont revendu leur maison."

Et tu en parles avec Lino ?

"Oui. Il a pleuré à la chorale et la maîtresse l’a consolé. Des fois, il pleure. Moi, j’ai pleuré quand vous nous l’avez annoncé, mais ça fait longtemps, tu te rends compte papa ? Un an déjà ! Le temps passe vite ! Alors je pleure plus. Je préférais avant, mais j’aurais bientôt oublié : c’est mieux."

Nous avons traversé la départementale après le long tournant, puis descendu la côte vers la rivière encaissée que j’aime tant. Dans une rue fleurissait du mimosa comme si la Côte d’Azur nous envoyait de si loin des embruns et pas le réchauffement climatique. Il a adoré la grande descente mais a chuté en confondant sa gauche et sa droite. Rien de grave. Je l’ai poussé dans la côte près des grottes, mais pas pour rentrer à la maison. Il est solide et je lui ai promis qu’il pourrait gagner le Tour de France. Il en était très heureux.

Je lui ai fait un chocolat, il a fait du trampoline. Sa moyenne sœur jouait avec une copine.

Il faut que le temps passe : c’est aussi pour cela que l’on meurt. C’est mieux.

C’est normal.

Tout est normal.