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Démissionner, Onfray pas mieux.
lundi 17 novembre 2014, par
Ce matin ils étaient tous là. Un lundi matin, c’est bien. Ils étaient tous là et en y allant, ma ville de province sous la pluie grise ressemblait à une ville d’autrefois ou à Limoges aujourd’hui. Je ne suis jamais allé à Limoges. Mais en arrivant il y a longtemps dans ma ville de province d’aujourd’hui, elle m’a donné l’impression de remonter le temps, en automne, vers les années soixante-dix, une façon de la complimenter. J’espère que Limoges ressemble à ça. Sinon, j’imagine qu’il reste Gueret, La Souterraine, un endroit quelque part.
Ils sont tous là. C’est l’université. Dans un vieux bâtiment trop chaud en mai et glacé dès novembre, où la ventilation des lieux ressemble à l’air que l’on brasse dans les têtes, ils sont tous là. Que puis-je faire pour eux ?
Ce matin j’ai bien compris. L’unique question posée par les étudiants depuis maintenant neuf ans voire plus c’est : "Le partiel portera sur quoi ?". Le reste on s’en fout. Non, l’histoire, la sociologie, les hommes, les techniques, on s’en fout comme de l’an quarante. LE PARTIEL PORTERA SUR QUOI ?
Je les comprends. Dimanche soir, j’ai vu la publicité Google™ sur TF1 parce que nous avions décidé d’être comme tout le monde, pour voir ce que ça fait. Que puis-je faire face à Google™ ? Le zouave ?
Comme Pierre Lazuly m’a demandé d’écrire un petit texte sur les quinze ans de Rezo.net et que j’ai commencé à avouer toute la vérité sur le rezo l’autre soir [1] et qu’il m’a demandé de redevenir gentil, j’ai pensé à lui à la fin du cours.
JE N’AI PLUS ENVIE DE TUER PERSONNE.
De même que mon pote Karim me disait de changer de wagon quand il y a des emmerdeurs dans le mien, parce qu’on est pas Zorro, et qu’il faut s’en foutre, et qu’il y aura toujours un dernier wagon dans toutes les sociétés humaines, et pas que dans le Transperceneige™, eh bien, je les ai écoutés.
Je n’ai plus envie de tuer personne.
Ce soir, j’ai lu Onfray et ça m’a fait plaisir. Il écrit : "La liberté sait où elle va, la licence, non." Comme je faisais cours justement en licence, à des types et des nanas qui peuvent bien aller sans moi où ils veulent, y compris dans le mur, j’ai pris une grande décision : je démissionne de la fac. Leurs agents "comptables" pourront encore me réclamer des papiers pendants dix ans et me payer avec trente ans de retard, je m’en fous. J’ai l’âge de ne plus avoir la vocation. Le vacataire s’en va. Vacation for ever.
A la pause, j’ai lu une revue sur les "Etudes supérieures", un style de "Que choisir ?" pour les imbéciles. Un long article y détaillait ce que l’on met en place dans des écoles de commerce. Un type y disait quelque chose comme "Les étudiants de la génération Y ont des attentes particulières qu’il faut satisfaire. Ils ne veulent plus du cours d’autrefois. Ils ont besoin d’interactions ludo-éducatives. Etcætera...". J’ai pensé à toi Pierre Lazuly. Je ne me suis pas énervé. D’habitude, je déchire ces plaquettes publicitaires. Là, non. J’ai souri voilà tout. Que la démagogie remplace la pédagogie, ça n’est important que pour les enfants des autres. Ce soir, j’ai chanté avec le plus grand au piano. Et puis j’ai obligé le plus petit à recopier les dessins des autres. Les filles étaient contentes et se sont mises à chanter. Et le plus petit a une version particulière de la Marseillaise. "Contre de nous de la tyrannie", c’était compliqué. Il a donc compris "Donne-nous de la dynamite".
Cela m’a fait du bien.
En quittant la fac vers midi, le ciel était gris de nuances, comme un vieux noir & blanc hivernal. Dans les rues moyenâgeuses où même les mentalités n’ont pas évolué, j’ai croisé une femme enceinte qui mangeait un croissant, une mère et sa fille de soixante-dix ans, des adolescents qui parlaient de Baudelaire, et le photographe de la mairie avec un appareil-photo d’autrefois tout cabossé. J’ai bien senti que tout cela était arrangé pour me faire plaisir, pour compenser le vide cybernétique de mes trois heures de cours pénibles. On avait payé des intermittents pour qu’ils courent les rues. Au prix du salaire horaire, c’était dérisoire.
Un coup des comptables de l’université, peut-être ?
[1] je ne peux en dire plus pour l’instant