Le petit môme à la console

Le petit môme a encore amené sa console au match de basket où son frère perd tout le temps. Le petit môme a l’œil brillant, il rigole tout le temps. Dans les années cinquante, on en aurait fait le héros d’une guerre avec plein de boutons dedans. Aujourd’hui, les boutons de sa Nintendo DS n’inspirent aucun scénariste si ce n’est moi-même, mais pour des films d’horreur, avec plein de fins du monde dedans, et même pas un effet spécial pour faire pour de faux. Pour faire pour de faux.

La fin du monde de l’enfance, noir & blanc, bouts de bois et cabanes dans les jardins.

Qui a tué les jardins ?

Ce qui est bien, c’est que ce petit môme a encore l’énergie de la rigolade à l’intérieur. Il n’est pas encore dénaturé par la banalité du mal. Contrairement à d’autres, il a conscience que son bidule coûte très cher : il en est très fier, il me l’avoue. Il me dit en même temps, se vissant l’index à la base droite du front : "T’es zinzin pour un adulte ! ". Je réponds que c’est parce que, contrairement aux adultes, j’ai bénéficié d’une expérience cybernétique quand j’étais un enfant de son âge. On m’a greffé une mémoire spéciale, dont rien ne s’efface, et surtout pas les sensations de l’enfance. Je piège mes mômes grâce à elle. Oh que oui : contrairement aux autres adultes, qui sont des adultes, je suis resté un enfant parce que j’entends parfaitement ce qu’ils pensent et ressentent. Je m’en souviens trop bien pour de vrai, c’est dingue. Dingue ! Je continue à faire des fautes d’orthographe d’enfant, et c’est Dominique Meens qui les corrige. Je le remercie. Avant, c’était Joëlle. Mais elle n’a plus le temps. Elle a des enfants. C’est la vie.

Le gamin a éteint sa console. Il m’écoute en regardant le match. Je lui raconte que les autres perdent tout le temps parce qu’ils sont trop individualistes. Si les grands frères n’avaient pas joué si longtemps avec des jeux vidéo, ils joueraient mieux ensemble. Le petit môme me regarde. Je lui dis : tu vois, là, tu ne joues plus, alors tu m’écoutes, c’est un échange. C’est comme ça qu’on joue ensemble. Son père nous regarde bienveillant. Son père est un taiseux. Je lui dis regarde ça, n’importe quoi ! Un mètre quarante et ça veut faire un panier à trois points du milieu du terrain ! Tu crois que la vie c’est de la 3D toi ? Hein ? N’importe quoi les grands là ! Et t’as vu les contres ? Ben bien sûr, les autres, ils n’ont qu’à piquer la balle. Les autres, ils jouent vraiment ensemble.

Le petit môme me regarde.

 "Oui mais les autres on les connaît, ils jouent beaucoup à la console tu sais.
 Mais non, tu délires ! Ils t’ont dit ça pour faire de l’intox !
 De l’intox ?
 Oui, ils te font croire, mais c’est pour de faux !
 Mais ils étaient à la Gamer Assembly of our Village la semaine dernière !
 Ah.........T’es sûr ?
 Mais oui, y’a mes deux cousins là !
 Ah..............C’est vraiment tes deux cousins ?
 Oui, ils ont une Xbox aussi !
 Oui mais bon. Là, on discute, tu vois, c’est mieux que de te voir jouer sur ton bidule tout le temps, tu trouves pas ?
 Oui, si, c’est mieux. T’es zinzin monsieur, complètement zinzin ! "

Le père l’interrompt. On dit pas ça à un adulte !

Et le gamin de se pencher vers son père : mais, papa, c’est PAS un adulte !